Le Papier d'Arménie.

Publié le par Michel Le Fouineur

Tout le monde connaît l'effluve de ce purificateur d'air. L'arrière-petite-fille du créateur du buvard à brûler perpétue sa fabrication comme il y a cent vingt ans.
On ne peut se tromper d'adresse. Dans cette petite rue de Montrouge, au sud de Paris, les vapeurs d'encens qui flottent dans l'air parlent davantage que toutes les indications. Au premier étage du 6 de la rue Morel, Mireille Schvartz prend connaissance des derniers chiffres de vente du Papier d'Arménie. Bonne nouvelle ! Tout va bien pour le petit carnet de feuilles de buvard qui envahit tout l'espace de son fameux parfum sous l'effet d'une combustion lente. En dix ans, les ventes ont été multipliées par huit, pour atteindre deux millions d'exemplaires, diffusés bien au-delà des frontières françaises, jusqu'au Japon. Les commandes arrivent de partout, et on le trouve même au très select Bon Marché à Paris, dans une nouvelle version créée par le parfumeur Francis Kurkdjian, à l'occasion de l'Année de l'Arménie en France qui se tient en 2007. En cent vint ans, le Papier d'Arménie ne s'est jamais aussi bien porté ! Mireille Schvartz n'en a pas pour autant attrapé la grosse tête. A cinquante huit ans, cette femme énergique dirige depuis treize ans l'entreprise fondée par son arrière-grand-père. "Cependant, je n'étais pas partie pour ça. En 1993, ma mère m'a pourtant appelée pour me demander de reprendre les rênes de la société familiale. Femme d'ingénieur et mère de quatre enfants, je n'avais jamais travaillé", dit-elle en souriant. Qui plus est, l'entreprise n'est pas franchement florissante. Depuis des décennies, le Papier d'Arménie est géré "à l'ancienne" par le grand-père de Mireille Schvartz. Pas d'informatique, pas de publicité, aucun investissement... jusqu'à sa disparition à l'âge de quatre-vingt onze ans, en 1989. "J'ai montré le bilan à un ami. Les finances étaient saines, la notoriété bonne, le potentiel était là", ajoute-t-elle. D'emblée, elle se plonge dans l'aventure... en travaillant quelques jours dans les ateliers attenant aux bureaux, histoire de bien comprendre les rouages de la fabrication. Très vite, elle embauche un assistant commercial, participe au salon parisien Marjolaine dédié aux produits bio et nature, et investit dans une campagne publicitaire sur le thème "Parfumez-vous la vie". On connaît la suite : des ventes annuelles qui passent de deux cent conquante mille à deux millions de carnets, tout en gardant les mêmes techniques de fabrication, et la fameuse formule magique... secrète. Concrétement, le Papier d'Arménie est une feuille de papier buvard plongé dans une préparation à base d'alcool et de benjoin, du nom de la résine de l'aliboufier, un arbre qui pousse dans les demi-montagnes d'Asie, du Laos et du Vietnam.
Depuis toujours en Asie, on brûle cette résine pour changer l'atmosphère des maisons. Elle entre également dans la formule de certains médicaments...
En 1885, c'est d'ailleurs au retour d'un voyage en Arménie qui fait alors partie de l'Empire ottoman qu'Auguste Ponsot, chimiste de son état, revient en France avec quelques cristaux de benjoin. Avec son ami pharmacien Henri Rivier, il se met au travail, manipule les flacons et teste les formules jusqu'à s'arrêter sur la recette définitive, toujours en vigueur aujourd'hui. Une petite usine est construite à Montrouge, où siège toujours la société, la plus ancienne de la ville. Assez vite, Auguste Ponsot abandonne ses parts à Henri Rivier, l'arrière-grand-père de Mireille Schvartz. Mais sa signature calligraphiée à l'ancienne demeure comme un hommage sur chaque feuille de Papier d'Arménie. Au sous-sol de l'atelier, monsieur Blanchet veille soigneusement sur les bidons de décoction. L'an prochain, il doit partir à la retraite sans oublier de transmettre le secret de la formule à son successeur. A la main et au nez, il vérifie l'état d'une épaisse pile de feuilles écrasée par des poids de plomb. "Après leur trempage, les grands buvards sont conservés au frais pendant trois mois, le temps que le parfum s'imprègne parfaitement. Comme le vin, ils se bonifient en vieillissant. Les feuilles sont ensuite massicotées et assemblées en petits carnets", explique Mireille Schvartz. Six mois sont nécessaires pour fabriquer le produit fini, vendu à la caisse des pharmacies et des drogueries. Il ne reste plus qu'à découper une languette selon les pointillés, la plier en accordéon, l'enflammer et souffler dessus pour opérer une combustion lente.
Notoriété oblige, Mireille Schvartz est souvent sollicitée. L'an dernier, elle a été invitée au ministère des Affaires étrangères pour le lancement officiel de l'année de l'Arménie en France. Récemment, elle a procédé au lancement d'une bougie parfumée inspirée de la célèbre fragrance. Le petit atelier de Montrouge accélère les cadances pour faire face aux nouvelles commandes qui proviennent de Moscou et de Chine. Pas de quoi faire tourner la tête de la patronne, qui observe sa nouvelle carrière avec calme. Dans la famille, on applaudit. Sa mère tout d'abord, au courant des moindres détails de la vie de la société, ses quatre frères, et surtout ses grands fils, ingénieurs ou informaticiens, très fiers de la brillante rconversion de leur maman.
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(source : Marie Lauriot ; Notre temps/jeux n° 258 mai 2007)

Publié dans général

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