Fièvres de cheval.
Longtemps, le cheval a tiré les charrettes et les charrues, et porté cavaliers et amazones. Puis le moteur l'a chassé... Mais il revient sur la pointe des sabots.
L'histoire du jour commence comme la célèbre chanson : "Tout va très bien, madame la marquise, tout va très bien. Mais cependant, il faut que l'on vous dise, on déplore un tout petit rien, un incident, une bêtise, la mort de votre jument grise ! " C'était le 9 février 2007, vers six heures du matin, à la ferme de la Chapelle, un monument historique situé à Fontaine-Chaalis, près de Senlis, dans l'Oise : quatre chevaux sont morts dans l'incendie de leur écurie. La presse en a parlé, car il s'agissait de quatre chevaux pas tout à fait comme les autres : stars des planches, ils avaient joué dans de nombreux films, et, en septembre 2006, fait une prestation remarquée - la fameuse course de chars - dans le Ben Hur de Robert Hossen, au Stade de France. Quand les pompiers sont arrivés, ils ont heureusement pu évacuer les trente-huit autres montures qui, bien que cernées par les flammes, étaient restées "très très calmes". Sans doute du fait de leur dressage par Mario Luraschi, un cascadeur spécialisé dans les acrobaties équestres et autre voltiges en milieu hostile...
Les voilà aptes pour le voyage à San Bartolome de Pinares, un petit village de Castille, en Espagne, où subsiste une tradition équestre très ancienne : une fois l'an, en janvier, hommes et bêtes font corps pour braver les flammes. Las Luminarias (les luminaires), mi-fête religieuse, mi-rite initiatique, voit les cavaliers et leurs montures affronter une trentaine d'obstacles qui sont autant de colonnes de feu atteignant parfois six mètres de haut qu'ils traversent dans une gerbe d'étincelles ! Voilà qui n'est pas du goût de l'association nationale de protection et de bien-être des animaux (ANPBA) qui, depuis deux ans, tente de faire interdire cette "pratique barbare". Mais les habitants ne se sont pas laissés faire. Ou à moitié : à force de palabres, les règles du jeu ont un peu changé, les cavaliers s'engagent à passer "juste à côté" des flammes et à asperger d'eau leur bête avant l'épreuve. Dans les faits, seul un cheval sur cinq est mouillé, et les cavaliers les plus aguerris n'hésitent pas à lancer leur monture dans le brasier. Mais sans casse : en janvier dernier, une centaine de participants à cheval, dont de jeunes enfants, ont pris part à la fête et dévalé au galop le kilomètre de la rue principale du village sous les acclamations de tous les afficionados. Résultat : un peu de poil roussi pour les hommes et leurs montures, guère plus. Ensuite, les uns et les autres ont eu un coup à boire...
A Chambines, dans l'Eure, près d'Evreux, on joue aussi à dada. Mais là, foin de tradition, ou alors tellement ancienne qu'on l'avait oubliée. D'ailleurs, son inventeur, un certain Arnaud Léon, parle plutôt de "nouveau concept d'équitation". Son idée : "jouter" à cheval, autrement dit, organiser des tournois comme au temps des chevaliers de la Table Ronde. Armures étincelantes, heaumes empanachés et pourpoints de velours, petits et grands peuvent jouer au roi Arthur et mordre la poussière... En toute sécurité, évidemment. Encadrée par la Fédération française d'aquitation (FFE), cette pratique entre sport et histoire, est réservée aux cavaliers expérimentés, et ne consiste pas vraiment à envoyer sa lance dans l'oeil de son adversaire. Il s'agit plutôt de différents jeux d'adresse (quintaine, anneaux, écus au sol, jeu de la pomme et du javelot) codifiés et notés selon un barème précis. Très prisés en Angleterre, ces "jeux de chevalerie" ont, selon leur importateur, Arnaud Léon, une vertu inattendue - et sûrement inutile à San Bartomome de Pinares : ils sont "un bon moyen de faire redécouvrir l'équitation aux garçons". En effet, sur les 523 696 cavaliers recensés à la FFE, 70 % sont des femmes.
Chez les chevaux aussi, la querelle de l'inné et de l'acquis fait rage. Bien sûr, il y a des animaux plus taillés pour le trait, et d'autres plus ingambes à la gourse. Depuis des millénaires, les hommes sélectionnent ainsi les meilleurs qu'ils croisent avec les meilleures. La question se pose surtout pour les grands champions, ceux qui courent très vite et gagnent beaucoup d'argent, mais pendant pas très longtemps : si les trotteurs peuvent trotter en compétition pendant cinq à six ans, les galopeurs, à trois ans, prennent leur retraite. Après... rien ne dit que leurs enfants auront leurs qualités. Et la perte est encore plus évidente pour les hongres (castrés). C'est là qu'une petite entreprise de biotechnologie de Bourg-en-Bresse, cryozootech, a sorti le grand jeu : la duplication in vitro des cracks, afin d'en obtenir une copie conforme. Début février 2007, elle a présenté ainsi au public son deuxième clone d'un champion, ET-Cryozootech-Stallion, poulain de sept mois dont le "princeps" (modèle) n'est autre qu'ET, double champion du monde de saut d'obstacles en 1996 et 1997. Certes, l'animal est beau, et, selon Hugo Simon, le cavalier avec lequel ET a gagné tous ses titres, " il a les mêmes yeux et le même regard, et il aime être caressé aux mêmes endroits..." Le jour de la présentation, un éleveur, dubitatif, s'est permis de soupirer : "On est un peu en attente des premiers résultats." Car il estime, comme beaucoup de professionnels, que le patrimoine génétique ne fait pas tout. "35 % de la performance, au mieux. Le reste repose sur l'environnement, et surtout la relation qui se construit peu à peu, entre le cavalier et son cheval." Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle "laplus belle conquête de l'homme.
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(Luc Le Chatekier ; notre temps/jeux n° 259 juin 2007)