Perdu - (par Marthe Fiel) - 3

Publié le par Michel Le Fouineur

Résumé des chapitres précédents. - Le petit Claude s'est égaré. Une dame survient qui s'offre à lui montrer son chemin. C'est une femme dont le métier consiste à rechercher les enfants perdus pour les ramener à leurs familles. Trouvant Claude trop grand, elle le laisse sans aide dans une banlieue. Il rencontre une bande de malfaiteurs.
 
PREMIERE PARTIE
 
CHAPITRE III
 
Ils parvinrent bientôt à une sorte de masure isolée. On lui donna un morceau de pain, avec un peu de jambon et on lui versa un verre plein de vin.
Claude mangea avec joie et but avidement sans se douter que le vin était fort.
Tout en choisissant différents outils, les apaches se confectionnaient du café. Quant il fut prêt, ils le dégustèrent en l'allongeant de cognac.
Ils n'oublièrent pas Claude.
- Ne lui mets pas trop de jaune... dit l'un des compères, sans quoi... il ne ferait rien de bon...
- N'aie pas peur... il en aura juste de quoi avoir des forces.
- Ces petits du monde ont des habitudes du lait... ça ne boit du vin qu'à douze ans...
Claude ne faisait plus attention à ce qui se passait autour de lui. Maintenant, une invincible envie de dormir le saisissait et il fermait les yeux.
Ses compagnons l'étendirent commodément en le roulant dans une couverture, et vaquèrent à leurs préparatifs.
Vers deux heures du matin, ils le réveillèrent.
Le pauvre innocent ouvrit des yeux effarés, se demandant avec effroi, où il se trouvait. Il regardait autour de lui avec étonnement, presque avec terreur, et prêt à pleurer en voyant l'ombre des visages, que les reflets d'une lanterne que l'on déplaçait, éclairaient d'une façon intermittente.
La mémoire lui revint, et, avec elle, la promesse qu'on lui avait faite de le ramener chez lui.
- Assez dormi, l'enfant ! cria un des hommes.
- Vous allez me ramener chez maman ? murmura le pauvret en grelottant.
- Oui... après notre travail.
- En route !... ordonna le chef de bande.
On roula Claude dans sa couverture et un des apaches le porta.
Dans la rue, le trajet se fit presque en courant. Claude remarqua que ses compagnons marchaient à une certaine distance l'un de l'autre. Leurs pieds étaient chaussés de feutre et ils semblaient glisser dans la nuit.
On s'arrêta. L'obscurité ne permettait pas à Claude de distinguer quoi que ce soit.
On le déposa à terre et celui qui l'avait porté lui dit :
- Tu vois ce révolver ?... Il faut que tu passes par le trou de ce mur... ou sans cela... je te tuerai...
Claude allai crier. L'homme reprit :
- Tais-toi... sans cela... on ne te reconduira pas chez tes parents...
L'ouverture en question était une minuscule fenêtre ovale pratiquée dans un mur épais.
Les hommes en découpèrent le carreau et dirent à l'enfant :
- Tu vas passer... puis tu feras du bruit... tu taperas contre la porte qui est là... de toutes tes forces... Des chiens viendront... ils aboieront... mais tu n'auras pas peur... ils ne sont pas méchants...
Claude frissonna, parce qu'il voyait encore dans son esprit les crocs du chien du boucher.
- Mais si les chiens me font mal ?
- Il n'y a pas de danger...
- Mais pourquoi faut-il que je rentre par la fenêtre ? je ne peux pas sonner à la porte tout de suite ?
- Ce n'est pas ton affaire... tu vas t'enfiler par là... tu tomberas sur tes pieds... et tu feras ce qu'on te dit...
Le dessein des voleurs était d'attirer l'attention de ce côté de l'immeuble, de provoquer de l'étonnement avec l'enfant, pendant qu'ils dévaliseraient la maison. Ainsi les serviteurs détournés de leur surveillance, les laisseraient agir en paix, pendant que les deux molosses dangereux s'acharneraient sur la proie qu'on leur envoyait.
On hissa Claude, par les pieds d'abord, de façon qu'il put retomber dessus, de l'autre côté. Il lui sembla qu'on l'engageait dans un tuyau.
Le pauvre petit ne savait plus trop ce qu'il faisait. Le vin et l'alcool bus, la menace du révolver empêchaient toute réflexion. Depuis quelques heures, les événements devenaient tellement bizarres pour lui, qu'il se laissait mener. Il ne retenait qu'une chose : c'est qu'après "le travail", on le reconduirait chez ses parents.
Il craignait tant de mécontenter ses compagnons, qu'il n'avait pas un murmure. Il obéissait.
Les voleurs l'entendirent retomber de l'autre côté ! Il fit quelques pas dans l'obscurité.
- Cherche la porte en suivant le mur...
Il trouva la porte et la frappa de ses petits pieds en appelant.
Tout à coup, il lui sembla qu'un tonnerre se déchaînait, tellement les aboiements des chiens furent subit et forts. Deux trombes s'abattirent sur lui et le renversèrent. Il cria désespérément. Quand il fut à terre, les chiens sentant sans doute que ce n'était pas là, la véritable proie, ou dédaignant un ennemi inférieur, se ruèrent sur la porte, flairant l'apache qui faisait le guet.
Claude tremblait de tous ses membres. Il restait plus mort que vif, contre le mur à l'abri d'une borne. Il pensait à sa maman qu'il allait revoir, et souhaitait que la porte s'ouvrit vite, afin que ceux qu'il accompagnait pussent accomplir leur besogne.
Deux domestiques accoururent. Ils étaient munis de lanternes et leurs visages parurent si terrible à Claude qu'il ne bougea pas. Il entendit, au-delà du mur, une course précipitée. La porte bailla... les chiens s'élancèrent et les serviteurs les suivirent.
Ils revinrent bientôt et Claude saisit des bribes de leur colloque :
- Ils se sont sauvés !...
- Il n'y a personne... va...
- Je suis certain qu'il y avait quelqu'un...
- Tu te montes toujours la tête...
- Me suis-je trompé... quand la semaine dernière... nous avons vu des cambrioleurs dans le jardin ?
- Non... mais ce n'est pas une raison... pour en voir partout...
- Je te dis qu'il y a une bande de voleurs qui en veulent à la maison...
- Ben... on les prendra ! Allons rassurer madame... Verrouille bien la porte... Allez, les chiens !... Assez grogné...
- Je vais rester encore un moment ici... Toi... va dire à madame que nous n'avons rien vu...
Un domestique se dirigea vers la demeure, tandis que l'autre, armé, restait encore aux écoutes.
Il se promenait de long en large et les chiens qui se calmaient, se rappelèrent sans doute Claude et se tinrent devant lui, en aboyant.
- Ici... les chiens !
Ils ne bougèrent pas. L'homme se rapprocha et sa lanterne s'arrêta sur le visage de l'enfant :
- Ne me faites pas de mal !... cria-t-il.
- Mais... d'ou sors-tu toi ?
- De la petite fenêtre...
Le domestique alla voir et remarqua le carreau cassé.
- C'est toi qui a cassé la vitre ?
- Non monsieur... c'est M. Sans-Peur... pour que je puisse passer... et taper contre la porte...
- Ah ! tu étais de la bande !... espèce de graine de voleur !... tu en as un toupet !... Je vais te faire manger par les chiens... attends !... Allons... lève-toi !... Et c'est petit ! mignon comme un innocent... Il n'y a pas de bon sens ! Allons, dis-moi ce que vous vouliez faire ? nous voler, n'est-ce-pas ?
Le domestique n'eut pas le temps de poursuivre plus loin son interrogatoire. L'autre serviteur accourait en clamant :
- Le coup est fait !... Madame est blessée dans sa chambre... Le coffre-fort est vide...
Claude fut oublié. Le malheureux garçonnet comprit alors seulement à qui il avait eu affaire. Un désespoir affreux s'empara de lui.
Il voulut se sauver, craignant d'être pris, lui aussi, pour un malfaiteur. On lui avait enseigné l'horreur des mots : vol... prison... A ses yeux, se révélait soudain un monde terrible.
Il essaya de regagner l'ouverture par laquelle il était entré. Elle se trouvait moins haute dans le jardin que dans la rue et il s'y glissa en s'aidant des aspérités du mur. Le conduit était trop étroit pour qu'il pût s'y retourner et il appréhendait de rouler sur la tête. Mais, désespéré, voulant fuir à tout prix, il essaya d'en sortir quand même. Quand ses épaules et ses mains furent dégagées, il tenta de s'accrocher pour descendre, mais le poids de son buste l'entraîna et il tomba lourdement.
Son front raisonna sur la chaussée où il resta sans connaissance.
Un couple de maraîchers, dans une carriole, se dirige vers les halles de Paris. Il est trois heures du matin. La femme baille et dit :
- J'aurais bien dormi encore deux heures...
- Moi aussi... répondit l'homme... mais ce n'est pas en dormant qu'on vend des légumes...
- C'est un rude métier...
- Tous les métiers sont rudes... Quand on veut qu'ils rapportent...
- Tu ne penses qu'au travail... quand est-ce qu'on se reposera ?
- Dans dix ans juste !... j'ai calculé hier... T'auras alors ta maison... ta servante et un voyage par an... Ca vaut bien trente ans d'efforts...
- Il me semble qu'il y a cent ans déjà... que je vends de la carotte...
Un demi-jour luisait. La femme tira de sa poche, un morceau de pain qu'elle mangea pour s'occuper. Elle regarda devant elle, pendant que son mari excitait son cheval.
Soudain, elle dit :
- Un paquet... là... Mais... on dirait un enfant !...
- Tu dors encore... c'est un chien...
- Non... non... arrête ton cheval !... Il faut que je descende pour me rendre compte...
- On va perdre du temps...
- Tu n'as pas de cœur...
- T'en as de trop...
- Pourvu que tu gagnes de l'argent, tu ne vois rien au-dessus !...
- C'est pour toi que je le gagne... pour ta maison... ta servante... ton voyage...
- J'aime pas les voyages... j'descends...
L'homme immobilisa son cheval.
La maraichère courut à la forme qui gisait sur un des côtés de l'avenue, au long d'un mur.
- C'est un beau petit gars !... cria-t-elle à son mari.
Elle prit Claude dans ses bras.
- Il est évanoui... le pauvret... à qui est-il ? que fait-il ici ? il s'est perdu...
- C'est un jeune polisson qui s'est ensauvé de chez ses père... et mère. Tu vas le laisser là... je suppose ?
- T'y penses pas !... il est malade... j'vas le soigner...
- Et les Halles ! nous n'avons pas de temps à perdre...
- T'as une pierre pour cœur... toi !
- Et toi une poire... J'veux pas que tu gardes cet enfant-là... Tiens... j'ai une idée qui va tout arranger... Il y a une maison où un homme les instruit... dans la rue à côté... on va l'y porter... on ne dira rien... et ça ne nous fera pas d'histoires... Passe-moi le mioche...
L'homme descendit de voiture et s'empara de Claude. La femme n'osa pas insister. Elle aurait aimé garder l'enfant, mais elle craignait aussi les "histoires".
Pourquoi troubler sa vie alors qu'on est tranquille ?
Pendant qu'elle réfléchissait à ces choses, elle remonta dans son véhicule. Le maraîcher, portant l'enfant, se trouva au bout de quelques mètres, près d'une maison entourée d'un jardinet.
Il savait que la haie avait des trous et il n'eut qu'à l'entrouvrir, pour déposer, près d'un buisson, Claude toujours plongé dans son évanouissement.
Il revint prestement et remonta dans la voiture en fouettant son cheval :
- Il s'est réveillé, le p'tiot ?... demanda la femme.
- Non... mais il sera bien chez ces gens... Ils n'auront qu'à chercher son adresse...
- C'était un beau petit... Dommage qu'on n'ait pas eu plus de temps...
- On aurait eu des affaires à n'en plus finir ! Ne nous mettons pas dans les ennuis de justice...
- Tu as raison... tout de même...
Et la femme reprit son pain qu'elle grignota.
(A suivre)

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