Dans le Vercors, les bergers ont peur du loup.

Publié le par Michel Le Fouineur

Le 19 juillet 2007, près de 400 brebis ont trouvé la mort en sautant d'une barre rocheuse en Savoie, suite à l'attaque d'un "grand canidé", probablement un loup. Dans les Pyrénées, c'est l'ours qui effraie. La secrétaire d'Etat à l'Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet s'est rendue, le 26 juillet, à Toulouse afin de gérer la crise Car dans les alpages, les bergers craignent pour leurs bêtes.
La ferme est nichée au bout d'une route sinueuse écrasée par le soleil. Sous la treille, un chat sommeille bercé par les abeilles qui butinent les hémérocalles orange tigré. En ce début juillet, comme chaque année, Catherine Bouvarel, 47 ans, et son mari Patrick, 58 ans, s'apprêtent à conduire eux-même, à pied, leur troupeau de plusieurs centaines de têtes en alpage. La ferme des Bouvarel est située au-dessus de Saint-Nazaire-en-Royans (Drôme), à flanc de Vercors.
- Nous avons toujours gardé nos bêtes nous-mêmes, s'enorgueillissent-ils.
Désormais, ils sont aidés par cinq chiens dont trois patous ou montagnes des Pyrénées.
Destination de leur transhumance : Font d'Urle, un plateau situé entre 1250 et 1700 mètres d'altitude. Les animaux y resteront jusqu'aux premières neiges. C'est là que, depuis 2003, le troupeau est régulièrement attaqué par les loups. Catherine s'est même trouvée face à l'animal.
- C'était en août l'année dernière, en fin de journée, il y avait du brouillard, raconte-t-elle. J'ai entendu les chiens aboyer et pour porter secours à mes brebis, je me suis enfoncée dans le bois. C'est alors que je l'ai croisé. J'ai eu très peur.
Voilà près de trente ans que Catherine et Patrick ont choisi cette vie d'éleveur en montagne.
- Petite, je voulais déjà être bergère, confie-t-elle.
Lui, avoue avoir eu le déclic après avoir croisé une caravane de nomades lors d'un voyage dans le Sahara. Ils s'installent dans le Vercors où Patrick a ses racines.
- J'avais l'odeur de la montagne dans la tête.
Depuis, ils louent la ferme. Ils gagnent leur vie en vendant à un boucher de la plaine les agneaux nés au printemps : 350 en moyenne chaque année. Une existence laborieuse jusqu'alors rythmée par les soins aux bêtes. L'arrivée du loup est venue tout compliquer.
Ce grand prédateur est de retour en France depuis 1992, année où il fut aperçu pour la première fois dans le parc national du Mercantour (Alpes Maritimes). Depuis, son territoire n'a cessé de s'étendre. Il est présent de manière permanente ou occasionnelle dans douze départements : dans les Alpes, mais aussi en Lozère et dans les Pyrénées-Orientales. Et depuis peu dans le Jura où il aurait, pour la première fois, attaqué un troupeau en juin dernier. Selon Eric Marboutin, responsable du réseau loup à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), la population française comprendrait 17 meutes et 120 individus. Dans le Vercors, le loup est présent depuis 1997.
A l'été 2005, à Font d'Urle, c'est la curée. Profitant du mauvais temps, sous le nez des chiens impuissants, les loups attaquent les brebis des Bouvarel alors qu'elles pâturent. A huit reprises. Dix-huit brebis et huit agneaux sont égorgés. Une vingtaine disparaît. Or, sans cadavre, il n'est pas possible d'obtenir une indemnisation. Une dizaine d'autres sont blessées.
- Il nous fallait les achever, c'était un vrai cauchemar. Nos brebis, c'est notre vie, notre seule richesse, s'emporte Patrick. Prévenus, les gardes de l'ONCFS arpentent le plateau pour abattre le coupable. Peine perdue. L'animal a-t-il senti le danger ? Il ne se montrera plus.
Bien que le loup soit strictement protégé par la Convention de Berne, chaque année, l'Etat français autorise le tir de quelques animaux, six en 2007-2008. Afin de soutenir le pastoralisme, les pouvoirs publics financent différentes mesures de protection : enclos où rassembler les bêtes la nuit, chiens, aide berger. Ces mesures ont été adoptées par une majorité des éleveurs et notamment les Bouvarel. Malgré tout, le loup s'en est encore pris à leur bétail à deux reprises en juillet 2006, alors qu'ils rentraient le troupeau dans l'enclos. Six bêtes ont été tuées, sept emportées. Puis, une nouvelle fois, le loup a disparu.
A l'instar de nombreux bergers, les Bouvarel sont en colère :
- Pas contre le loup, mais contre ceux qui le protègent. Ils refusent d'intégrer le fait que nous sommes les seuls à assumer sa présence, s'emporte Patrick.
Pourtant, les mesures de protection semblent porter leurs fruits : en France, les attaques de troupeaux sur l'ensemble des massifs ont été moins nombreuses, 857 en 2006, contre 948 en 2005. Et 1000 brebis de moins ont été tuées. Mais les éleveurs n'en démordent pas : les mesures de protection sont incompatibles avec la gestion traditionnelle des troupeaux en alpage.
- Maintenant, je suis berger policier, regrette Patrick. Pour protéger mon troupeau du loup, je suis contraint de le rentrer tous les soirs dans l'enclos. Mais, parquer les brebis la nuit, en montagne, c'est absurde. C'est à la fraîche qu'elles mangent le mieux. Sans compter que cela représente un surplus de travail considérable ! Je ne suis pas couché avant 1 heure du matin et je me lève à 5 heures.
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Isabelle Verbaere ; Pélerin n° 6505 du jeudi 2 août 2007

Publié dans tradition

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