Dopage - Les confidences d'un ancien médecin du Tour de France.
Jean-Pierre de Mondenard, 64 ans, a été médecin du Tour de France de 1973 à 1975, avant d'en être écarté pour avoir dénoncé ouvertement le dopage. Selon lui, la lutte contre cette pratique frauduleuse est possible. A condition de la confier à des instances médicales indépendantes du milieu sportif.
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L'exclusion pour dopage de Rasmussen, Vinokourov et Moreni, favoris du Tour dr France 2007, vous a-t-elle surpris ?
Non. Excepté l'Américain Greg LeMond, vainqueur en 1986, 1989 et 1990, tous les gagnants, de l'après-guerre à aujourd'hui, ont traîné des "casseroles". Quand j'étais médecin du Tour, une partie des coureurs ouvraient leur flacon de corticoïdes devant moi, parfois même en me narguant... Impossible pour moi de le cautionner ! Dire que le dopage est apparu il y a dix ans, avec le scandale Festina, c'est une mascarade.
Pourquoi le dopage persiste-t-il malgré quarante ans de législation antidopage ?
Aujourd'hui, il est techniquement possible d'avoir une allure normale tout en absorbant des substances dopantes qui ne laissent aucune trace. Il est surprenant que le Kazakh Alexandre Vinokourov se soit fait prendre. Il a commis une "erreur d'amateur" en utilisant une technique de transfusion sanguine facilement détectable. Après sa chute et ses 15 points de suture, il a dû se rendre compte qu'il allait perdre... Ces circonstances l'ont poussé à la "faute". Normalement, les coureurs utilisent des méthodes efficaces et indécelables, comme l'autotransfusion. Ils ont plusieurs trains d'avance sur les techniques de contrôle. Démasquer les tricheurs devient mission impossible.
Reste-t-il néanmoins des champions propres ?
Dès lors qu'une partie des coureurs sont dopés, il est impossible de gagner si l'on est propre. Avant le Tour 2006, j'avais affirmé que le vainqueur serait dopé. Quelques mois plus tard, le maillot jaune a été retiré à Floyd Landis pour tricherie. Peut-être y a-t-il des cyclistes propres. Mais ils ne sont sûrement pas en tête du peloton, et ils s'affaiblissent au fil des étapes. Depuis des années, le journal télévisé de 20 heures montre des exploits bidons. Chaque coureur veut se démarquer. La médiatisation des événements sportifs amplifie les dérapages.
Le sport professionnel est-il le seul concerné ?
Je ne le crois pas. Dès qu'il y a compétition, il y a risque de fraude. On constate des cas de dopage dans les grandes compétitions de masse, comme le marathon de Paris ou celui de New York. L'orgueil pousse chacun à être le meilleur, parfois à tout prix. L'argent n'est que secondaire. Un jeune, qui débute les compétitions à 15 ans, attendra plusieurs années avant de gagner de l'argent. C'est avant tout la reconnaissance que les coureurs cherchent.
D'autres sports sont-ils l'objet de tricherie ?
Tous les sports sont concernés. Simplement on trouve plus de dopage là où on le cherche le plus. En 1958, une étude du Dr Ottani montrait que 68 % des footballeurs italiens de ligue 1 prenaient des hormones et 27 % des amphétamines. Si aujourd'hui, on ne trouve pas de dopage dans le football, c'est simplement que les institutions sportives, notamment la Fédération internationale de football (Fifa), préfèrent ne pas le chercher plutôt que de montrer la réalité.
Pourtant la France et l'Allemagne ont la réputation d'avoir les législations les plus sévères en matière de dopage...
La lutte antidopage n'est pas efficace. Sept fois vainqueur du Tour, Lance Armstrong se défend en déclarant qu'il a subi 300 contrôles négatifs durant sa carrière. C'est la même chose pour le Danois Michael Rasmussen ou l'athlète américaine Marion Jones. La recherche technique en matière de contrôle a été relancée depuis l'affaire Festina en 1998, mais cela ne va pas dans la bonne direction. Il serait préférable de mener une politique de prévention, par l'éducation. Les fédérations sportives auraient leur rôle à jouer. Cependant, les contrôles devraient impérativement être effectués par des personnes extérieures au monde du sport, et motivées par la lutte antidopage. Pas par les organisateurs du Tour ! Ce serait le rôle d'une institution comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de les prendre en charge. Le combat contre le dopage est une cause trop sérieuse pour être laissée entre les mains des sportifs.
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Propos recueillis par Luc Balbont et Emmanuel Tixier ; Pélerin n° 6505 du jeudi 2 août 2007.