La traversée du Sahara (par Gabriel De Lautrec)
C'est une nouvelle sensationnelle que viennent de lancer les journaux. M. Baluzard, le sympathique président de l'Institut Océanographique de Bois-Colombes, jaloux des exploits des aviateurs, se propose de faire la traversée du Sahara en bateau.
Les esprits à courte vue hausseront les épaules et mettront le doigt sur leur front en soupirant d'un air de pitié. Les hommes audacieux ne rencontrent d'abord sur leur route que le sarcasme et le mépris. Le temps seul leur fait rendre justice, et ce n'est jamais qu'après leur mort qu'on les porte au Panthéon.
Si l'on voulait se donner la peine de suivre le raisonnement de l'éminent président de l'Institut Océanographique, on n'aurait pas de peine à se rendre compte que son projet, à la fois géographique et historique, est tout simplement génial. Il part de cette idée très simple que le Sahara est une ancienne mer. Bien entendu, si cette idée-là est fausse, le raisonnement ne tient plus debout. Mais elle est vraie, heureusement. Tout le monde est d'accord là-dessus. Et l'on n'a pas à tenir compte de l'objection stupide de ceux qui prétendent que, si ledit Sahara était une authentique mer, on devrait y trouver d'anciens poissons.
Mais il s'agit de retenir précisément cette dernière partie de phrase, pour comprendre le parti que l'illustre académicien a su tirer de cette formule mieux appliquée. Si le Sahara, s'est-il dit, est vraiment une ancienne mer, on doit pouvoir y naviguer, à la condition de se servir d'anciens bateaux.
Telle est la formule. Il faut en trouver l'application. M. Baluzard veut nous faire monter en bateau. Mais il faut que ce bateau soir rigoureusement contemporain du temps où le Sahara était une mer. A l'époque des Carthaginois le désert existait déjà. Il ne s'agit donc pas de construire une galère carthaginoise, qui n'aurait pas plus de chance de flotter sur le Sahara que le plus moderne steamer. Mais, en consultant les ouvrages compétents, il ne doit pas être impossible de savoir à quelle époque il faut remonter
Et je suppose qu'il faut délibérément songer que le premier bateau fut un tronc d'arbre creusé pour recevoir le navigateur. Prenons un tronc d'arbre et creusons-le. Rien ne nous empêche, d'ailleurs, de lui donner une forme plus élégante et plus confortable. Et, une fois cette concession faite à l'antique tradition, il nous sera permis de faire un emprunt timide à des époques plus modernes, par exemple celle où l'on adaptait au navire des roues à aubes. Nous pourrons même supprimer les aubes, pour ne conserver que les roues, munies de solides pneumatiques. Et, pour assurer notre subsistance pendant cette traversée, nous arrimerons dans la cale quelques robustes chevaux-vapeurs.
¤¤¤¤¤
Gabriel De Lautrec.