Soeur Emmanuelle - Le visage de la charité.

Publié le par Michel Le Fouineur

Madeleine Cinquin, de son vrai nom, est née le 16 novembre 1908 à Bruxelle. A 21 ans, elle entre au couvent de Notre-Dame de Sion, à Paris, et prononce ses voeux deux ans plus tard, prenant le nom de soeur Emmanuelle. Elle enseigne les lettres en Turquie, en Tunisie et en Egypte. Depuis 1993, elle vit à Callian, dans le Var.
Surnommée "l'ambassadrice des exclus", soeur Emmanuelle a consacré sa vie aux pauvres et à Dieu. Son action chez les chiffonniers du Caire l'a rendue célèbre et sa personnalité atypique fait d'elle une des personnalités les plus aimées et respectées aux yeux des Français.
C'est un projet auquel elle était très attachée depuis de longues années et qu'elle est heureuse de voir aboutir aujourd'hui. Mercredi 20 juin 2007, soeur Emmanuelle a tenu à se rendre - pour l'une de ses désormais rares apparitions médiatiques - à l'inauguration d'un lieu d'accueil pour jeunes adultes sans travail ni formation, à Fréjus. Par sa présence, elle a souhaité remercier ceux qui l'ont aidée à mener à bien cette idée de centre d'hébergement et de formation autour des métiers de la terre.
Malgré sa santé fragile et ses problèmes de surdité, soeur Emmanuelle, qui aura 99 ans en novembre 2007, reste une battante, habitée par ses ambitions.
- Bien qu'elle soit en maison de retraite, elle a une activité intellectuelle toujours aussi intense, explique une religieuse de l'établissement Le Pradon, à Callian, dans la Var. Depuis 1993, soeur Emmanuelle s'y repose, ou du moins est censée se reposer.
- On la sollicite beaucoup ce qui fait qu'elle ne s'est jamais arrêtée, ajoute-t-elle.
Mais elle semble aimer cela, elle, la travailleuse acharnée. Elle s'entretient d'ailleurs tous les deux ou trois jours par téléphone avec Trao Nguyen, le président d'Asmae - association soeur Emmanuelle, afin d'être tenue informée du quotidien et des orientations stratégiques de cette organisation qu'elle a fondée en 1980, en Egypte. Un pays dont elle est tombée amoureuse. C'est en effet à Alexandrie que soeur Emmanuelle termine sa carrière de professeur de lettres et de philosophie en 1971, après avoir enseigné en Turquie et en Tunisie.
Mais à 63 ans, lorsque ses supérieures l'invitent à rentrer en France pour prendre sa retraite après quarante années d'enseignement, elle leur "demande une grande faveur : de pouvoir rester ici et de partager la vie avec les plus pauvres."
Ici, ce sera dans les bidonvilles du Caire, pendant vingt-trois ans. Elle, qui, comme précise Jean Sage, président d'honneur de l'association Opération-Orange, a gardé "des habitudes de bourgeoise et un certain raffinement" vivra désormais aux côtés des rats, dans la saleté et le dénuement, comme "une sainte des temps modernes."
Soeur Emmanuelle raconte :
- Très vite, j'ai compris que cela ne me suffirait pas de vivre avec [les plus pauvres]. Je suis née comme cela : il me fallait passer à l'action. Je me suis dit qu'en partageant non seulement la vie mais encore mes compétences et es connaissances, je pouvais peut-être aider les chiffonniers à sortir de leur terrible situation. Ce qui m'a le plus motivée ? Les enfants. Je ne pouvais pas supporter de les voir aussi beaux, rieurs, mais aussi souvent en mauvaise santé, à moitié sauvages, voués en tout cas à un avenir bouché.
Il faut donc créer des écoles, un dispensaire, une maternité.. Cette "ambassadrice des exclus" - c'est ainsi que Jean Sage la décrit - part alors en quête d'argent, frappant à toutes les portes, même à celles de la Commission européenne. Jacques Delors est d'ailleurs devenu un de ses proches, comme Jacques Chirac, Bernard Kouchner et Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général de l'ONU.
- Pour lutte contre l'injustice et donner mieux à l'autre, elle est prête à déplacer des montagnes. Pour elle, cette expression s'applique vraiment bien, précise Catherine Alvarez, la directrice d'Asmae.
Elle sait utiliser les médias à sa cause et jouer la provocation.
Mais le mot "assistanat" est à bannir de son vocabulaire et de son action. Lorsque Jean Sage a rencontré pour la première fois soeur Emmanuelle, c'était pour lui rendre visite dans ce bidonville d'Ezbet el-Nakhl, en 1974. Descendant de son taxi, il est vite entouré par une foule d'enfants à qui il distribue des bonbons. Soudain, il entend une femme crier :
- C'est toi, Jean ? Tu es un drôle d'individu, ça fait trois ans que j'essaie d'en faire des hommes, et toi, en trois minutes, tu les transforme en mendiants.
Il se retourne :
- C'était soeur Emmanuelle, et j'ai rçu la plus belle leçon de ma vie, confie-t-il aujourd'hui.
Soeur Emmanuelle a aussi compris très rapidement que pour agir, il fallait être entouré de partenaires locaux. Et pour cela, parler l'arabe est sans doute l'un de ses nombreux atouts. Elle est aussi ravie d'accueillir, en 1976, soeur Sara, une religieuse orthodoxe égyptienne avec qui elle partagera désormais la vie dans les bidonvilles, et qui poursuit encore aujourd'hui son oeuvre, à travers l'association Opération Orange.
Au total, l'action de soeur Emmanuelle se sera étendue à trois bidonvilles cairotes : Ezbet el-Nakhl, Mokattam et Meadi Tora. C'est une relation particulière, voire intime qu'elle tisse avec cette ville, avec ce pays dont elle obtient la nationalité deux ans avant de le quitter.
- Ce fut pour moi un cadeau exceptionnel, avoue-t-elle.
Depuis 1993 - date de son retour en France - soeur Emmanuelle est retournée plusieurs fois au Caire. Son dernier voyage dans la capitale égyptienne remonte à 2001.
- Elle a suivi une route autre que la route habituelle tracée par la Congrégation, raconte la soeur de Callian.
Cela vient sans doute de son côté rebelle. Car lorsque Madeleine Cinquin, de son vrai nom, décide d'entrer au couvent à 20 ans, sa mère s'y oppose - son père est mort noyé sous ses yeux près d'Ostende, lorsqu'elle avait six ans. Mais à sa majorité (21 ans à l'époque), Madelon, pour les intimes, fait son entrée comme postulante au couvent Notre-Dame de Sion, à Paris. Deux ans plus tard, en 1931, elle prononce ses voeux et opte pour le nom de soeur Emmanuelle.
C'est de sa foi très profonde qu'elle tire l'énergie nécessaire à ses projets, ses ambitions pour atteindre cet idéal de justice auquel elle aspire tant. Ce petit bout de femme est d'une grande ténacité.
- Soeur Emmanuelle, c'est le quart d'heure de Napoléon. Je ne l'ai jamais vue se coucher la première, mais toujours la dernière, parce qu'il faut tenir un quart d'heure de plus, idem dans une discussion, elle ne va jamais lâcher le morceau, car c'est celui qui tient qui gagne, explique la directrice d'Asmae.
Décidée à obtenir ce qu'elle veut, elle est autoritaire mais en même temps très douce, à l'écoute des autres et pleine d'humour.
- Elle peut être originale, elle tutoie tout le monde, ajoute la soeur de Callian. Avec soeur Emmanuelle, ce qui est très agréable, c'est qu'il n'y a aucun sujet tabou. On peut tout se dire, être d'accord ou pas, faire des propositions, tant que ça va dans le sens du projet, tout est possible, complète Catherine Alvarez.
C'est l'action qui compte avant tout, pour cette femme extrêmement dynamique, avec une grande capacité de travail, de concentration, et... de récupération. Trao Nguyen raconte que soeur Emmanuelle s'endort souvent quelques instants en récitant son chapelet :
- Pour elle, la prière et le repos sont indissociables.
Depuis son installation à Callian, au calme, loin de l'effervescence des bidonvilles cairois, soeur Emmanuelle a écrit de nombreux ouvrages : Une vie avec les pauvres (Ed. Ouvrières, 1993), La richesse de la pauvreté(Ed. Flammarion, 2001), Chiffonnière avec les chiffonniers (Ed. de L'atelier, 2007), Jésus tel que je le connais (Ed. Flammarion, 1996), Confessions d'une religieuse (Ed. Flammarion, 2005) et aussi Vivre à quoi ça sert ? (Ed. de la Loupe, 2005). Pour Catherine Alvarez, c'est une femme qui a atteint un tel niveau de foi, que sa vie est une prière.
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(source : Directsoir n° 177 du lundi 25 juin 2007)
 

Publié dans personnage

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