Château de Fontainebleau - Un nouveau souffle.
350.000 visiteurs par an contre 17 millions pour la forêt : le château de Fontainebleau souffre de laisser indifférent les amoureux de la sylve.
- Cette coupure existe depuis des décennies, constate, désolée, Annick Notter, sa directrice adjointe.
D'où la décision de mettre les bouchées doubles pour faire connaître un monument dont l'image est encore floue auprès du grand public. Et pour cause. Depuis François Ier, il a été régulièrement remanié, accumulant les styles et mêlant joyeusement dans notre imagination, l'École de Fontainebleau et ses chefs-d'oeuvre renaissance, et les adieux de Napoléon à sa garde dans la cour du Cheval Blanc ! Le 26 juin 2007, les pièces que le pape Pie VII occupa sous le Premier Empire ont rouvert, ainsi que l'appartement des Chasses, restauré. Le château espère aussi beaucoup du don des Émirats arabes unis pour la réhabilitation du théâtre Napoléon III, qui s'inscrit dans l'accord signé il y a peu avec la France pour la création du musée du Louvre d'Abou Dhabi.
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Empêcher l'homme de trop intervenir dans l'oeuvre de la nature fut le grand combat des peintres de Barbizon. Au début du XIXe siècle, Napoléon Ier a relancé les grands chantiers de plantation d'arbres. A Fontainebleau, les forestiers ont misé sur le pin sylvestre, dont la pousse modifie rapidement ces paysages à demi dénudés qu'affectionnent les artistes. Dès 1837, ils obtiennent que les vieux arbres ne soient plus coupés. Mais ils veulent aussi la peau du pin et n'hésitent pas à saboter le reboisement en arrachant les jeunes plants. Tant et si bien qu'en 1861, la communauté des peintres obtient la création officielle de "réserves artistiques" : c'est la première protection de la nature au monde !
La forêt domaniale de Fontainebleau abrite encore sept réserves, où, sauf accident, une jeune pousse de chêne est assurée d'avoir une paix royale durant... deux siècles et demi, délai que l'ONF a fixé entre deux coupes.
Accrochées dans les salons artistiques, soutenues par les écrivains romantiques qui, eux aussi, magnifient la nature sauvage dans un siècle d'industrialisation, les oeuvres de nos peintres paysagistes donnent des envies aux Parisiens.
Dans les années 1830, la renaissance du château de Fontainebleau, grâce à Louis-Philippe, a déjà suscité un tourisme chic et mondain, mais aussi un afflux de curieux. Plusieurs services quotidiens de "grandes diligences" et de coches d'eau, sur la Seine, permettent de rallier la ville. Avec l'arrivée du train, en 1849, la distance se raccourcit encore. Des "trains de plaisir" sont créés, offrant de faire l'aller et retour dans la journée. Rentiers, bourgeois ou commerçants parisiens profitent de ce développement.
Des voitures à cheval les déposent à l'entrée des sentiers, bordés de buvettes et restaurants. Le Parisien aime pousser jusqu'à Barbizon, "désireux d'approcher cette bête curieuse, l'artiste, de la voir prendre sa nourriture, de surprendre sur place ses moeurs, ses habitudes, son débraillé intime et familier...", s'amusent les frères Goncourt, en 1867.
Au fil des décennies, cet enthousiasme pour Fontainebleau ne fera que croître mais en se démocratisant. De quelques dizaines de milliers dans les années 1850, le nombre de visiteurs par an est passé à 17 millions ! Un vrai casse-tête pour les gestionnaires d'une forêt classée Natura 2000, qui doit à la fois se protéger et rester ouverte.
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Philippe Royer ; Pélerin n° 6491 du 26 avril 2007.