Chambre à louer (par Albert Acremant)

Publié le par Michel Le Fouineur

Mademoiselle Henriette Vinchon était une de ces petites rentières que les prix nouveaux de la vie ont le plus atteinte. Alors que ses revenus ne faisaient que diminuer, elle devait, chaque année, payer davantage pour ses impôts, pour son loyer, pour sa toilette.
Heureusement, elle avait son appartement. En se restreignant, c'est-à-dire en sous-louant une ou deux chambres, elle espérait pouvoir gager un peu d'argent.
Un jour, il lui arriva de mettre à sa fenêtre une pancarte. Elle habitait, en effet, le rez-de-chaussée. Des étudiantes étrangères auraient été pour elles les bienvenues. Il en est tant qui ne savent pas où se loger. Elles auraient chez elle la tranquillité, le confortable et surtout la sécurité. On avait le droit d'interroger les commerçants du quartier. Mlle Henriette Vinchon payait avec régularité son boulanger et son boucher. Elle avait des moeurs irréprochables.
A peine la pancarte fut-elle visible que le gérant intervint. Par l'intermédiaire de la concierge, il invitait sa locataire à se présenter dans son bureau, où elle était sûre de le rencontrer chaque matin, de dix heures à midi.
Mlle Vinchon était craintive. Dès le lendemain, elle se rendit à la gérance.
Celui qui avait la charge de son immeuble, en même temps que d'un certain nombre d'autres, était n homme de trente-cinq ans. Il s'appelait Vincent Drouain. Peut-être avait-il, dans la réalité, un caractère très doux. Professionnellement, il était redoutable.
Il expliqua à la vieille demoiselle que son bail lui interdisait formellement de sous-louer. A la rigueur, elle avait le droit de donner refuge à des parents, mais elle ne pouvait pas faire commerce de ses chambres. Si elle accueillait une seule étrangère en échange d'une rémunération, elle cesserait d'être protégée par la loi et se verrait expulsée dans les plus brefs délais.
- Je vous remercie de m'avoir prévenue...
Après avoir salué, Mlle Henriette s'était retirée. Elle ignorait ces détails juridiques. Elle était reconnaissante au gérant de les lui avoir appris. Elle eut été navrée de se trouver brusquement sans domicile.
Peu à peu elle réfléchit.
On lui interdisait des pensionnaires, mais on lui permettait des parents. Pourquoi ne dirait-elle pas que ses pensionnaires étaient des parents ? Rien ne lui paraissait plus facile.
Elle n'osa point remettre sa pancarte, mais elle s'adressa à une agence discrète.
Deux jours plus tard, on lui fournit une petite Américaine de dix-huit ans, qui venait suivre à Paris les cours de l'École des Beaux-Arts. Elle acceptait de payer 800 francs par mois.
-C'est entendu ! déclara Mlle Vinchon. A la condition seulement que cette demoiselle accepte d'être présentée au gérant comme étant ma nièce, orpheline de père et mère !...
L'Américaine daigna s'amuser de la supercherie :
- C'est entendu ! prononça-t-elle à son tour.
Le soir même, elle s'installa dans l'appartement.
M. Drouain, prévenu, admit, en effet, que, dans ces conditions, il n'avait aucune objection à formuler.
Pour la locataire, c'était un succès. Le défaut des vieilles demoiselles est souvent de ne pas savoir se borner. Celle-ci avait deux chambres disponibles. Ce qui avait si bien réussi une première fois, ne raterait pas une seconde. Elle sollicita de l'agence un deuxième pensionnaire.
- Voici un jeune Hollandais ! lui dit-on.
- Je le prends...
Pourquoi aurait-elle hésité ? Les circonstances étaient favorables. Elle présenta le jeune homme comme étant son neveu, frère de la petite Américaine.
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Sous divers prétextes, le gérant commença à venir fréquemment chez Mlle Henriette. Avait-il des doutes sur la sincérité des déclarations qu'on lui faisait ? Plusieurs fois il manifesta des étonnements. Pourquoi le frère et la soeur, qui étaient orphelins depuis quelques semaines, ne portaient-ils point le deuil de leurs parents ? Pourquoi la jeune fille ne comprenait-elle pas le hollandais, alors que le jeune homme ne parlait pas l'anglais ? Mlle Vinchon décida d'abord ses pensionnaires à acheter des vêtements noirs. Elle expliqua ensuite à M. Drouain que son frère ne s'entendait guère avec sa femme. Il avait emmené son fils en Hollande, cependant que son épouse avait continué à vivre avec sa fille aux Etats-Unis. Enfin, elle obtint des deux jeunes gens qu'en la présence du gérant, ils se manifestassent une affection très tendre. Ils arrivèrent à s'embrasser, tout en rougissant l'un et l'autre.
- C'est pour moi que vous le faites, mes enfants. Je vous en remercie, prononçait la vieille demoiselle, toute attendrie.
Hélas ! une semblable situation ne peut pas se prolonger. Un certain jour, M. Drouain chargea la concierge d'annoncer à sa locataire qu'il désirait la voir d'urgence pour une question grave. Il se proposait de venir chez elle l'après-midi même.
- Il a tout appris ! Je vais être expulsée, soupira Mlle Henriette.
Jusqu'à trois heures de l'après-midi, elle eut des palpitations de coeur. Plusieurs fois elle fut sur e point de courir à la gérance pour proclamer elle-même ses fautes et se frapper la poitrine en criant :
- Je vous demande pardon...
M. Drouain arriva. Il était en jaquette et avait des gants gris perle. Depuis quand prenait-on tant de formes pour donner congé à un locataire ? De telles circonstances ne pouvaient que révéler une expulsion extraordinaire.
- Mademoiselle, expliqua le jeune homme sans préambule, j'ai l'honneur de solliciter la main de Mlle votre nièce, que je trouve ravissante...
- Ma nièce ?
- Oui... La jeune Américaine que vous avez recueillie...
- Parfaitement ! Parfaitement !...
Les affaires s'arrangeaient à merveille. Du moment qu'il était amoureux, le gérant serait indulgent. Comment pourrait-il chasser celle qui lui aurait procuré une femme exquise ?
- Ma nièce va vous répondre elle-même.
La petite Américaine entra dans le salon avec le Hollandais. La proposition de M. Drouain lui fut exposée. Mais, elle, se retournant vers son compagnon, murmura :
- Je suis très flattée. Mais je suis obligée de refuser, parce que, mon voisin de chambre et moi, nous nous sommes fiancés depuis ce matin !
- Comment ? Le frère et la soeur fiancés ? Qu'est-ce que c'est que ces gens-là ?
Le gérant, vexé à un double point de vue, professionnel et sentimental, était furieux. Pour éviter un scandale, Mlle Vincent dut promettre dans les trois mois. Elle vit à présent en province. Et le loyer de son ancien appartement a été triplé.
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Albert Acremant.
 
 

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