Alimentation - Gare à la flambée des prix.

Publié le par Michel Le Fouineur

Va-t-on manquer de blé et de lait ? C'est la question qui se pose au regard de la consommation boulimique de la Chine et de l'Inde, de l'essor des biocarburants et des aléas climatiques. Du coup, les prix vont grimper...
Dès la rentrée, les étiquettes des produits alimentaires vont valser. Le beurre, les yaourts, les fromages, les pâtes, les barres chocolatées, les biscuits, le jambon, les côtes de porc, les volailles et peut-être même la baguette de pain devraient augmenter dans une fourchette allant de 2 % à 7,5 %. Tous ces produits ont en commun d'être fabriqués à partir de matières premières agricoles, notamment les céréales et les produits laitiers, dont les cours flambent littéralement sur les marchés mondiaux.
En un an, le blé a augmenté de 50 %, l'orge de 42 %, le soja de 40 %, le maïs de 32 % et le cacao de 25 %. De son côté, le lait devrait augmenter, à la production, d'au moins 5 % cet été. Le géant agroalimentaire Danone ne s'y est pas trompé, qui vient d'annoncer une hausse de 2,5 % des tarifs de ses produits frais, le lait représentant près de 30 % du prix de revient d'un yaourt.. Côté céréales, une envolée de 50 % du blé entraîne quasi automatiquement un relèvement des coûts de fabrication de 15 % à 25 % pour les pâtes. En revanche, ces mêmes céréales n'entrent que pour 4,2 % dans le prix d'une baguette.
- L'impact de la hausse du prix du blé devrait donc provoquer, proportionnellement, une augmentation maximale d'un centime d'euro pur une baguette vendue 90 centimes, estime le syndicat Jeunes agriculteurs. Pourtant, le prix du pain a progressé de plus de 40 % depuis 1990, tandis que le prix du blé chutait dans des proportions identiques. Maintenant que celui-ci s'envole, on ose à peine imaginer les dérapages que ce retournement de conjoncture pourrait provoquer. Mieux vaut donc relativiser les déclarations rassurantes des représentants de l'industrie agroalimentaire et surtout ceux de la grande distribution.
- Nous ne tirerons aucun profit de la situation et seules les hausses justifiées, c'est-à-dire indispensables à la survie des entreprises, seront répercutées et calculées au plus juste dans l'intérêt du consommateur,, assurent les industriels par la voix de Jean-René Buisson, président de l'Association nationales des industries alimentaires (Ania). Des répercussions sont à attendre sur les prix de détail à la rentrée, mais nous veillerons à les limiter au maximum, affirme-t-on laconiquement, dans la grande distribution.
Bref, tous s'accordent pour prédire une inflation réelle, dont nul ne se risque pourtant à évaluer l'étendue.
En revanche, Frédéric Chausson, directeur de la Fédération nationale des producteurs de lait (la FNPL, qui regroupe les 100.000 éleveurs laitiers français), ne manie pas, lui, la langue de bois. Il prévoit carrément une hausse du prix du lait à la production d'environ 10 % sur les deux ans à venir.
- Il manque en Europe un million de litres de lait pour satisfaire la demande, précise-t-il.
Il est bien loin le temps où le Vieux Continent croulait sous les montagnes de beurre et de poudre de lait, exportées à coup de ruineuses subventions. C'est d'ailleurs pour en finir avec ces stocks qu'une stricte politique de quotas laitiers a été appliqué depuis le milieu des années 1980. Sa réussite a dépassé toutes les espérances, au point qu'une révision de cette politique est envisagée par le gouvernement.
En France, le déficit en lait s'explique aussi par la cessation d'activité de 4000 à 4500 éleveurs chaque année. Pourquoi ces départs ? A cause des prix jugés trop peu rémunérateurs ; de l'attrait d'autres activités financièrement plus intéressantes, comme la viande ou les grandes cultures (colza, betterave...) destinées aux biocarburants ; de la pénibilité d'un métier très astreignant (il faut traire les vaches deux fois par jour) ; enfin, à cause de l'inquiétude face à l'avenir depuis la réforme de la Politique agricole commune, en 2004.
Aujourd'hui, les industriels européens en sont donc à se tourner vers d'autres pays producteurs. Las, ailleurs aussi, c'est la pénurie, notamment à cause de la sécheresse qui ravage l'Australie depuis deux ans.
Frédéric Chausson complète le panorama :
- L'envolée de la demande mondiale pousse à fond les prix. En effet, les pays de l'Europe de l'Est, Russie comprise, deviennent de gros importateurs, et en Chine les comportements alimentaires changent à mesure que le niveau de vie progresse. Résultat : c'est la ruée sur les produits laitiers !
A cela il faut ajouter que les vaches mangent beaucoup de céréales et de maïs. Ainsi, la hausse vient alimenter la hausse.
Et ce n'est pas tout ! L'Inde et la Chine, en pleine croissance et toujours plus peuplées, se sont mises à importer du blé à tour de bras, notamment pour nourrir des troupeaux de plus en plus nombreux, car les Chinois délaissent le bol de riz pour l'entrecôte. Au bout du compte, la consommation mondiale de céréales devrait atteindre 1?675 milliard de tonnes en 2007-2008, un record, alors que la production se situera au maximum à 1,656 milliard de tonnes.
Ainsi, les stocks mondiaux, au plus bas depuis trente ans, vont encore continuer à maigrir.
- Ils ne représentent plus que cinquante jours de consommation, alors qu'un minimum de quatre-vingt-dix jours est nécessaire pour faire face aux aléas du climat, s'alarme un céréalier de la région Champagne-Ardenne. D'ailleurs, les accidents climatiques contribuent aussi à la flambée des cours : en Ukraine, jadis grenier à blé de l'Europe, la production recule à cause du froid, alors qu'en Australie, c'est la sécheresse qui l'anéantit.
- Ces phénomènes inflationnistes se combinent avec la spéculation financière, remarque Hervé Guyomard, directeur scientifique à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Les fonds d'investissement s'intéressent maintenant de très près aux matières premières alimentaires., anticipant une demande mondiale encore plus forte et une production accrue de biocarburants.
L'essor du "pétrole vert" se révèle aussi facteur d'inflation. Partout, d'immenses surfaces sont désormais vouées à la betterave, au blé, au maïs ou au colza, qui servent à fabriquer de l'éthanol et du diester. Le monde entier en redemande. Prévoyant une raréfaction de 'or noir, l'Europe vient d'adopter un plan afin qu'à l'horizon 2020 les biocarburants couvrent 20 % de ses besoins en énergie. Au Etats-Unis, la production annuelle d'éthanol à base de maïs devrait doubler entre 2006 et 2016. Au Brésil, cette même production, principalement à base de canne à sucre, atteindra 44 milliards de litres en 2016, contre 21 milliards actuellement. C'est à se demander si, parfois, à force de s'orienter vers les cultures énergétiques, les agriculteurs n'en oublient pas leur mission première qui est de nourrir les humains.
- N'exagérons rien ! Voyons plutôt les aspects positifs, tempère Philippe Martin, professeur d'économie internationale à l'université de la Sorbonne, à Paris. Que l'Inde et la Chine s'enrichissent et consomment différemment pour mieux se nourrir, c'est quand même une bonne nouvelle. Il faut se réjouir aussi de l'intérêt pour les carburants verts, à l'origine d'une consommation d'énergie plus respectueuse de l'environnement.
Évidemment, les populations urbaines pauvres, en particulier celles des pays africains importateurs de produits alimentaires, seront désaventagées. Philippe Martin en convient. Mais, poursuit-il, dans les pays en développement, les paysans, très nombreux, sont parmi les plus pauvres. Eux vont tirer profit de la nouvelle donne. La hausse des prix agricoles aura au moins le mérite de redistribuer quelques richesses. Même si, à coup sûr, le pouvoir d'achat des Français s'en ressentira.
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Benoît Fidelin ; Pélerin n° 6507, du jeudi 16 août 2007.
 
 

Publié dans société

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V
"les carburants verts, à l'origine d'une consommation d'énergie plus respectueuse de l'environnement" <br /> => Pas si sûr...<br /> <br /> "La hausse des prix agricoles aura au moins le mérite de redistribuer quelques richesses"<br /> => Je ne vois pas bien comment cela redistribuerait des richesses? <br /> Je crois au contraire que les gens dont le budget est serré vont devoir consommer encore moins ou se rabattre sur des produits "moins chers"... <br /> <br /> Dans certains commerces, le processus d'augmentation des prix est déjà amorcé...sur le pain par exemple.
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