L'amitié entre un homme et une femme - Est-ce possible ?

Publié le par Michel Le Fouineur

Nouer une relation amicale et durable avec une personne de l'autre sexe oblige, tôt ou tard, à oser affronter la question de l'attirance physique qui peut toujours se poser. Et, bien entendu, à la dépasser. Ceux qui y parviennent vivent alors une magnifique aventure humaine, riche de différences et d'altérité.
Des mots à la réalité, il y a souvent tout un monde... Ainsi, 80 % des hommes affirment être disponibles pour une amitié avec une femme. Mais dans les faits, seulement 40 % déclarent avoir au moins une femme dans leur constellation amicale. L'amitié entre les hommes et les femmes semble d'ailleurs assez peu courante : 83 % des meilleurs amis des femmes sont des femmes et 72 % de ceux des hommes sont des hommes. En amitié, évitons le mélange des genres, telle semble être notre devise ! Pourquoi tant de frilosité ?
- Par réalisme, tout simplement, répond Louis, 43 ans. Dès l'instant où l'on apprécie une femme, qu'on atteint un certain degré d'intimité avec elle, tôt ou tard se posera le problème de l'attirance physique. Il ne faut pas se voiler la face : n'appelons pas amitié ce qui n'en est pas et ne peut pas en être, estime-t-il, catégorique.
De son côté, Hélène, 48 ans, après avoir cru qu'elle allait faire mentir cette suspicion ambiante contre les amitiés mixtes, est aujourd'hui dubitative.
- J'ai rencontré Fabien il y a trois ans, dans la chorale que je fréquente. Nous nous sommes découvert une passion commune pour la musique baroque et sommes devenus amis. Je l'ai présenté à mon mari, il m'a présenté à son épouse. Je pensais qu'on avait une relation riche, en dehors des sentiers battus, sans la moindre ambiguïté. Et puis, il y a six mois, il m'a écrit une lettre pour me dire qu'il ne souhaitait plus me voir : il éprouvait pour moi plus que de l'amitié et ne voulait pas mettre son couple en péril. J'ai été très déçue. Peut-être que l'amitié entre une femme et un homme est impossible...
Mais alors, que dire de la magnifique relation d'amitié qui a uni François d'Assise à sainte Claire, de celle qui exista entre François de Sales et Jeanne de Chantal, ou encore de la complicité affectueuse entre Freud et Lou Andreas Salomé, écrivain allemande et disciple du psychanalyste ? Ces amitiés ont bel et bien existé, riches et authentiques... Mais aussi exigeantes et compliquées.
- Les conditions pour qu'une telle amitié perdure sont la lucidité et l'authenticité, explique Jean-Pierre Winter, psychanalyste. Si le désir apparaît, mieux vaut alors le reconnaître et s'en parler, plutôt que de faire comme s'il n'existait pas. Pour s'en dire quoi ? Qu'on décide d'y renoncer pour rester sur le terrain de l'amitié et ne pas basculer sur celui de la relation amoureuse. Attention, renoncer n'est pas se résigner : c'est un acte délibéré, un vrai choix. On renonce à son désir pour en faire une amitié, poursuit-il.
Pour certains, ce renoncement n'est pas aisé et l'amitié s'arrête. Mais pour d'autres, il est d'autant plus facile qu'ils sont fermement engagés ailleurs.
- Un homme ou une femme dont la vie trouve son sens dans une relation d'amour au sein du couple ou dans un engagement religieux, pourra se lancer sans ambiguïté dans des relations d'amitié avec des personnes de l'autre sexe. Quand on n'est pas disponible pour une relation amoureuse, le risque de confusion est bien moindre, exprime le frère Jean-Marc Gueullette, dominicain.
Mais cette vigilance nécessaire ne signifie pas que l'amitié doit être totalement désincarnée et le corps banni.
- J'ai un ami très proche depuis l'enfance. Il lui arrive de me tenir par les épaules avec beaucoup de tendresse. Parfois, je lui passe la main dans les cheveux. Ces gestes sont sans équivoque aucune. D'ailleurs, nos conjoints mutuels n'en ont jamais pris ombrage. Ils savent bien que nous sommes comme frère et soeur, raconte Marie, 62 ans.
- Dans une amitié mixte, il peut y avoir du sensuel, du plaisir à se regarder, se sourire, s'embrasser pour se dire bonjour. Il peut même y avoir de la séduction, mais douce, de celle dont on sait qu'elle n'ira pas plus loin, remarque Jean-Pierre Winter.
Ceux qui parviennent à ce savant équilibre sont unanimes pour décrire ces amitiés comme très précieuses. Marie en est l'exemple. Cette sexagénaire avait 6 ou 7 ans lorsqu'elle fait la connaissance d'un petit garçon de son âge dans le village des monts du lyonnais o^l'un et l'autre passaient les vacances dans la même pension de famille. Ils ne se sont jamais perdu de vue : leur amitié d'enfance est devenue avec le temps complicité au long cours. Fille unique, Marie a toujours considéré cet ami comme un frère.
- Il fait partie de ma famille et moi de la sienne, explique-t-elle, précisant qu'elle était présente à son mariage et lui au sien.
La valeur de ces complicités entre homme et femme, Jean-Philippe, 59 ans, la mesure différemment.
- J'apprécie particulièrement les amitiés féminines. J'y trouve beaucoup de douceur et d'écoute. Je n'ai aucun rôle à jouer, je peux être moi-même, avec mes faiblesses, mes coups de blues, souligne-t-il.
Quant à Irène, 52 ans, elle estime que l'amitié qu'elle entretient depuis quinze ans avec Marc est très stimulante.
- Avec lui, je me laisse moins aller aux petits potins et confidences intimes. Je me situe sur un terrain plus exigeant, plus intellectuel. Un ami me semble aussi plus franc qu'une amie : je sais que les compliments de Marc sont vrais, qu'il ne cherche pas à me remonter le moral ou m'épargner, explique-t-elle.
Edouard, 47 ans, qualifie son amitié avec Cathy de réconfortante et instructive.
- Parfois, je lui parle de mes petits soucis de couple. Et souvent, je m'aperçois qu'elle me tient exactement le même discours que mon épouse. Mais comme il n'existe pas d'enjeux amoureux, j'entends ses arguments. Elle m'aide à mieux comprendre mon épouse, analyse-t-il.
- Ces amitiés mixtes permettent en effet une découverte de l'autre sexe. Elle se fait ici dans un autre régistre que celui de la séduction, avec tranquillité et pudeur, remarque le frère Jean-Marc Gueullette.
Toute amitié, mais particulièrement celle qui nous permet d'aller sur le chemin de l'altérité, peut comporter une dimension spirituelle.
- Pour moi qui suit croyant, je me fait un devoir d'utiliser cette formidable capacité à aimer que j'ai reçue. Sans me disperser, j'ai envie d'expérimenter toutes les formes d'amour humain, confie Jean-Luc, 57 ans, consultant en gestion du patrimoine.
- A travers l'expérience humaine de l'amitié, on découvre la possibilité de regarder le Christ comme un ami. Il serait illusoire de croire qu'on peut vivre et parler de l'amitié avec le Christ si on ne la vit pas dans la réalité, remarque le frère Jean-Marie Gueullette, nous exhortant à nous ouvrir à toutes les formes d'amitié. Sous prétexte qu'une amitié avec une personne de l'autre sexe est plus risquée et demande plus de vigilance, on a longtemps enseigné aux gens mariés et aux prêtres de s'en méfier. C'est terrible. Notre existence comporte de toute façon une part de risque qu'on ne peut nier, conclut-il.
Alors, si la possibilité d'une telle relation amicale s'offre à nous, pourquoi la fuir ? Mieux vaut l'aborder dans un esprit d'ouverture mais sans naïveté.
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Isabelle Gravillon ; Pélerin n°6507 du jeudi 16 août 2007.
 
 
 

Publié dans opinion

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M
Je trouve ce texte remarquable et de par mon expérience je voudrais en souliner quelques éléments :Une amitié "mixte" c'est une ouverture à l'altérité sans "possession" : c'est une école du respect de l'autre en tant qu'alter..Je pense qu'il est essentiel de vivre une telle relation en toute conscience et en partageant ce qui est vécu : savoir où on en est est très important...L'amitié est plus riche et plus solide entre des personnes sont l'affectivité est "donnée" par ailleurs soit dans une relation amoureuse, soit dans un "état" de vie...Quand elle change de nature, ou bien il faut "basculer" dans l'Amour si cela est possible ou bien prendre de la distance mais en tous cas ne pas rester dans une expérience bancale...Oui c'est un risque.comme l'Amour, comme la Foi, c'est le risque de la rencontre de l'Autre, le seul qui vaille vraimentMerciMichel
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