Une vannerie nommée Folie.

Publié le par Michel Le Fouineur

Jamais vannier n'avait gagné le prix national de la SEMA (Société d'encouragement aux métiers d'art). Un lorrain d'adoption l'a fait.
Il invente de nouveaux gestes dans un métier qu'on dit immuable. Laurent Weiss oublie la technique, qu'il maîtrise, pour creuser au coeur au coeur de la matière et faire ressortir les rythmes de l'osier tressé. Plus qu'un artisan, c'est un créateur, un éclaireur qui ouvre des pistes dans un domaine que révolutionne la décoration paysagère.
Fêté aujourd'hui, il en a pris des chemins de traverse avant de trouver sa voie. Ce Champenois de Vitry, fils d'un libraire et d'une pharmacienne, manie enfant le pilon et le mortier pour aider sa maman. Plus tard, il entre tout naturellement à la faculté de pharmacie de Nancy (54), mais ne s'intéresse qu'aux cours de botanique de Jean-Claude Hayon; bras droit de Jean-Marie Pelt. Avec lui, il assiste à la naissance du jardin botanique du Montet à Nancy et quitte "pharma" pour passer un BTS de paysage espaces verts. Mais après l'armée, il bifurque, vend des téléphones pour voitures, puis tient à Champigneulles (54) le bar-tabac que sa mère a racheté, jusqu'à être écoeuré de proposer des tickets à gratter à de pauvres gens :
- J'avais l'impression de dealer de la mort lente.
Une annonce de portes ouvertes à l'École de vannerie de Fayl-Billot (Haute-Marne) va changer sa vie. Il s'y rend, fait un stage et s'inscrit en 2001 :
- Tout ce que je connaissais en botanique : la structure des plantes, des fibres, comment se construit l'amas de cellules qui va donner une tige, me servait enfin. J'avais une approche scientifique d'un métier d'intuition et, en plus, je connaissais le marketing, ce qui m'a permis de durer dans une profession où beaucoup abandonnent vite.
Le fait que l'osier n'a pas besoin d'engrais pour pousser en un an et qu'il met six mois pour se dégrader en compost convient aussi à cet écologiste non encarté. Curieux, inventif, n'hésitant pas à se déplacer en Europe pour rencontrer d'autres vanniers, il va exploser en cinq ans dans un métier qu'on met une vie à apprendre.
Sa patte se reconnaît vite : il travaille les brins d'osier en tension, souvent suspendus en faisceaux ou en nasses entre ciel et terre. Ses oeuvres sont éthérées, graphiques. Les dernières rappellent les vanneries indiennes et il projette de planter des totems géants dans les jardins urbains.
Une rencontre et une découverte infléchissent son nouveau style : celle avec le sculpteur sur bois Marc Ricourt qui utilise le "matiérage", c'est-à-dire le mélange de matières et de techniques (ciment, colle à carrelage, acrylique, oxyde de fer, travail au chalumeau) pour créer des pièces atypiques, et celles des ruches couvertes de glaise et de bouse pour les rendre étanches en attendant que les abeilles y apposent le propolis :
- J'avais déjà passé cette résine sur des vanneries, sans réaliser qu'elle est tirée des bourgeons du saule qui donne aussi l'osier.
Ses premières oeuvres enduites sont belles mais "simplistes". Alors, il les retravaille, les ponce au papier de verre jusqu'à faire ressortir, comme de petits yeux, ce qui n'apparaît jamais : les brins de clôture montés en spirale. Il améliore aussi sa "cuisine" : les teint avec du bleu charron et prend le temps "d'apporter de l'émotion à la matière" : il lui a fallu 200 heures pour réaliser "Folie", la pièce oblongue comme une outre à huile africaine qui lui a valu la plus haute récompense des métiers d'art.
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Gérard Charut ; est magazine du dimanche 16 septembre 2007)

Publié dans patrimoine

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