Marius est courageux

Publié le par Michel Le Fouineur

Marius est courageux, certes, mais il redoute le danger. Aussi, depuis que quelques agressions de nuit se sont produites dans son quartier, n'est-il pas très rassuré quand il regagne, le soir, son domicile.
Il tient le milieu de la chaussée, et tandis que ses yeux inquiets scrutent l'ombre, craignait d'en voir surgir quelque méchant gars, il ne peut s'empêcher de penser :
- Un de ces jours, il m'arrivera quelque chose.
Comment se protéger ? Un revolver ? Marius ne s'en est jamais servi sans appréhension : c'est si traître, les armes à feu ! Soudain, il s'avise d'une idée ; s'il se faisait escorter par un chien policier ? Alors, il serait tranquille.
Et puis, un chien, c'est un ami, un vrai : il ne dit pas de mal de vous. Cette raison sentimentale achève de décider Marius.
Il va donc chez un marchand, qui lui présente un superbe Gronendael.
- C'est un policier ? questionne-t-il.
- Un vrai, avec le signe distinctif de l'espèce : les poils ras et les oreilles droites.
- Quel prix ?
- Quinze cent francs.
- Bou Diou ! s'exclame Marius, qui s'enfuit : une telle acquisition dépassait son budget !
D'autres marchands lui demandèrent plus cher encore. Marius était consterné, car, Marseillais, il avait l'entêtement d'un Breton : il s'était promis un chien policier, il lui en fallait un.
Sur ces entrfaites et sur le cour Belzunce, il aperçut son ami Olive, contemplant avec intérêt, faute d'occupation plus sérieuse, une brave femme en train d'arroser avec de l'eau sale, selon la coutume, les coquillages de son kiosque pour aider à la propagation de la fièvre typhoïde.
Olive était de ceux qui, sans avoir jamais réussi, se font une réputation d'intelligence ; comme il vivait médiocrement en marge de tous les métiers, on le considérait comme un débrouillard.
- C'est lui qui me trouvera ça, pensa Marius.
Il frappa sur l'épaule d'Olive.
- Té, Marius ?
- Qu'est-ce que tu fais pour lors ?
- Je bibelotte.
- Écoute, mon bon, j'ai besoin d'un chien policier.
- Tu en auras un demain, lui répondit Olive, sans avoir, bien entendu, la moindre manière dont il pourrait procurer l'animal désiré.
Marius s'inquiéta.
- Pas trop cher, au moins ?
- Deux cents francs, répliqua l'autre à tout hasard.
- Ça colle... Il aura les poils ras ?
- Comme mon crâne, fit Olive, qui était chauve.
- Et les oreilles droites ?
- Comme un "i"
Le lendemain, Olive arrivait chez Marius tenant dans le creux de sa main, triomphalement, un chien de race indéfinissable, sa mère n'ayant apporté aucun discernement dans ses relations avec les spécimens les plus variés de l'espèce canine.
- Il faut être, dit-il à son camarade, plus bête qu'une pastèque pour payer un prix exagéré un chien déjà grand : les malins comme toi, les prennent tout petits et, au bout de cinq mois, ils ont un superbe policier qui ne leur a pas coûté cher. Tu verras, ajouta-t-il, quel défenseur tu vas avoir. Son père, à lui seul, a arrêté cinq cambrioleurs : on lui tirait des salves de revolver : il se moquait des balles comme de bulles de savon ! Quant à sa mère, elle avait un flair peu commun. En veux-tu la preuve ? Elle appartenait à un directeur d'usine : mais si elle aboyait aux visiteurs, elle connaissait tous les employés et elle leur prodiguait les amitiés. C'était une nature affectueuse. Il n'y en avait qu'un qu'elle na pouvait pas souffrir : le comptable. Elle lui montrait les dents, elle grognait dès qu'elle le voyait. Le patron s'étonnait : "Quest-ce qu'elle a donc, Joliette, s'interrogeait-il cet homme, après ce brave Gastide ?" Et, un beau jour, il s'aperçut que le comptable faisait des faux dans les écritures.
- Elle les a découverts ?
- Précisément. C'est extraordinaire, hein, pour une chienne ?...
Marius se laissa persuader qu'avec de pareils ascendants son chien ne sautait manquer de se distinguer. Il l'avait baptisé Goliath, pour l'encourager à grandir.
Cependant, Goliath ne dépassa pas sensiblement la taille d'un caniche : de plus, il n'était pas seulement doux de caractère, mais peureux : au moindre bruit, il courait se blottir sous un meuble.
Marius dut se rendre à l'évidence : Olive l'avait roulé. Aussi, l'ayant rencontré, l'apostropha-t-il violemment.
- Tu m'as floué : ton chien n'est pas un policier.
- Si, fit Olive avec audace.
- Non, répliqua Marius : la preuve, c'est qu'il a le poil long.
- Parce que tu ne le fais pas tondre.
- Et ses oreilles ? Elles devraient être droites : elles sont tombantes.
Olive, un instant déconcerté, reprit vite son aplomb. Il s'approcha de Marius, l'air mystérieux :
- Je vais te dire : il est de la police secrète !
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Gabriel Timmory.

 

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