Nicolas Sarkozy, un président dans l'action.
Cinquante jours après sa prise de fonctions, le président de la République a suffisamment multiplié les actions et les déclarations pour que l'on puisse esquisser un premier bilan de son mandat. Aux sommets internationaux, dans le palais de l'Elysée ou sur le terrain, il semble inépuisable.
Au lendemain de son entrée à l'Elysée, Nicolas Sarkozy donnait symboliquement le tempo du quinquennat. En short, baskets aux pieds, il gravit alertement le perron du palais présidentiel après une heure de footing dans les rues de Paris et au bois de Boulogne avec François Fillon, le Premier ministre.
Aussi anecdotique que puisse paraître cet épisode, il révèle une première caractéristique du personnage : il s'agit d'un président énergique. Il court, se dépense et résiste. Ce goût du sport, il l'applique manifestement à sa pratique politique. A la manière d'un champion de tennis, il ne veut laisser passer aucune balle, monte à la volée et occupe le fond du court. La conférence de presse donnée par Nicolas Sarkozy en compagnie du Ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, à l'issue du sommet européen de Bruxelles, le 23 juin 2007 au milieu de la nuit, évoquait par bien des aspects une interview accordée par un vainqueur de Roland-Garros, heureux quoique fatigué, après un match éprouvant. Autre signe de la pratique athlétique du pouvoir selon Nicolas Sarkozy : la multiplication des voyages et des interventions. En cinquante jours, le Président s'est déplacé 16 fois hors de la capitale, dont 7 au-delà des frontières du pays. Son choix de rendre visite à la chancelière allemande Angela Merkel, le 16 mai 2007, le jour même de la passation de pouvoir, indiquait déjà sa volonté d'acquérir une stature internationale d'envergure.
Héritage de la vision gaullienne du pouvoir, la conduite des affaires diplomatiques est tacitement l'apanage du chef de l'Etat depuis 1958. D'un côté, le nouveau Président a tôt fait de comprendre qu'il ne se cantonnerait pas à ce "domaine réservé". De l'autre, tout indique que Nicolas Sarkozy va chercher à personnaliser davantage encore la gestion des affaires étrangères. Même si, soucieux de l'image de ses collaborateurs, il ne manque pas de valoriser l'action de Bernard Kouchner à la tête du Quai d'Orsay, ni celle de Pierre Jouyet aux Affaires européennes ou, plus récemment, celle de Rama Yade, la jeune secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, qu'il compare, d'ores et déjà, à Condoleezza Rice. Cependant, si l'aura de Bernard Kouchner, la compétence de Jean-Pierre Jouyet et l'enthousiasme de Rama Yade ne font aucun doute, tous savent qu'ils dépendent de Nicolas Sarkozy, et que ce dernier occupera l'espace qu'il voudra sur l'estrade internationale. Le Président de la République joue un rôle qui lui sied bien, comme en témoignait son aisance au sommet du G8 d'Heilligendamm (Allemagne) où, en quelques instants, il a su trouver un ton à la fois cordial et pugnace avec ses interlocuteurs. C'est aussi sur le plan international, lors du Conseil européen de Bruxelles du 23 juin 2007, qu'il a gagné les premiers lauriers de son mandat, en obtenant à la dernière minute des frères Kaczynski, qui dirigent la Pologne, un accord sur un projet de traité européen simplifié. Avec Angela Merkel, ovationnée au Parlement européen le 27 juin 2007, Nicolas Sarkozy peut revendiquer d'avoir permis de débloquer le dossier européen, paralysé depuis des mois par le "non" français et néerlandais au référendum de 2005. Après ce baptême du feu, il reste à transformer l'essai et à faire adopter ce projet de traité à l'horizon 2008.
Le deuxième acquit réel de ce quinquennat naissant touche à la pratique du pouvoir elle-même, révolutionnée par la très symbolique "ouverture" qui concerne au premier chef le pôle diplomatique du gouvernement dont trois portefeuilles sur quatre - ceux de Bernard Kouchner (Affaires étrangères), Jean-Pierre Jouyet (Affaires européennes) et Jean-Marie Bockel (Coopération et francophonie) - sont confiés à d'anciens porteurs de la carte du parti socialiste. A cette liste doivent être ajoutés Eric Besson, en charge de la Prospective et de l'évaluation des politiques publiques, lui aussi ancien hiérarque du PS en rupture fracassante de ban ; mais aussi Martin Hirsch, classé à gauche, aucien patron d'Emmaüs, responsable de la solidarité active et des pauvretés, et Fadela Amara, ancienne militante de SOS-Racisme et présidente emblématique de l'association Ni putes ni soumises, qui s'est vu confier la politiquede la ville. Près d'un membre du gouvernement sur cinq est donc issu de la gauche. Difficile, dans ces conditions, de parler d'un "gadget politique" : l'ouverture politiqua à gauche est réelle, et pas seulement symbolique, et si elle a déstabilisé le PS, elle a aussi fait grincer quelques dents à l'UMP. L'arrivée de personnalités de gauche au gouvernement Fillon a surpris tous les observateurs, mais il y a une autre forme d'ouverture qui était plus attendue, compte tenu des discours du candidat Sarkozy sur la discrimination positive.
La présence des "minorités visibles" (Rachida Dati, fille d'un maçon marocain ; Fadela Amara, fille d'un ouvrier du bâtiment algérien, et Rama Yade, "femme, jeune, noire et musulmane" comme elle s'autoqualifiait en février dernier) confère une représentativité au gouvernement jamais atteinte auparavant sous la droite comme sous la gauche, laquelle est renvoyée à sescontradictions par cette mixité fièrement arborée, et relayée par la puissante communication élyséenne et dans de nombreux discourts du Président.
L'étiolement des énarques au gouvernement, ou encore la présence de femmes à la tête de certains ministères fondamentaux (Economie et finances, Justice, Intérieur, Logement et Ville) traduisent une nouvelle conception gouvernementale. Le défi de cette équipe hors-norme, symbolisée par Christine Boutin marchant bras dessus bras dessous avec Fadela Amara dans les jardins de l'Elisée, sera de résister au temps, à la fatigue et à l'actualité.
(source : Directsoir n° 185 jeudi 5 juillet 2007)