"Un dans tous, tous dans un"

Publié le 16 juillet 2007 par Michel Le Fouineur

Les 300 habitants de Fontenoy-la-Joûte près de Baccarat (54- Lorraine) ont été photographiés un par un. La somme des clichés compose aujourd'hui le portrait mosaïque de chaque villageois. Inédit.

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Il y a six ans, Patrice Jacquemin, l'entreprenant président des bouquinistes de Fontenoy-la-Joûte, le "village du livre" de Meurthe-et-Moselle, qui y tient la boutique "A la recherche du temps perdu", achève un album photo de l'Américain Robert Sylvers intitulé "Photomosaïques".

- Je suis tombé en extase, se souvient le libraire, passionné d'inventions insolites.

Avec à la clé de nombreux portraits composés d'une mosaïque de minuscules photographies, Silvers, ingénieur au fameux MIT (Massachusset Institut of Technology), y explique comment il a mis au point un formidable logiciel photographique capable de réaliser ces clichés composites en accolant des images miniatures tirées d'une banque de données.

- A l'époque, il lui fallait une semaine pour réaliser un seul portrait. Et cela avec un énorme ordinateur occupant toute une pièce, du type "Cray One" qui équipait la NASA et le MIT précisément.

Patrice voit aussitôt l'intérêt de la chose. Cogitant plus vite que son ombre, il imagine, en voyant le portrait de Lincoln en noir et blanc, le projet "Un dans tous, tous dans un", pour paraphraser la devise des mousquetaires. Il consiste à photographier le visage de tous les habitants de sa commune d'adoption, pour ensuite se servir de cette masse de documents graphiques et colorés afin de réaliser le portrait de chaque villageois avec les 300 autres photos. L'idée est inédite et géniale et il se met aussitôt au travail :

- J'ai trouvé un petit logiciel sur Internet, dont je me suis servi pour réaliser le portrait ainsi "pixélisé" de Pierre Jacquot, un agriculteur aujourd'hui décédé.
Pour ce faire, Patrice Jacquemin utilise toutes les photos d'objets, de gens et de paysages dont il dispose.

Le résultat est plutôt probant : avec son cigarillo dans la bouche, le paysan est bien reconnaissable dès qu'on prend un peu de recul. Mais hélas, ni le logiciel ni l'ordinateur dont dispose le bouquiniste ne sont assez puissants pour mener à bien l'ensemble de son lourd projet. Alors, il met celui-ci sous son mouchoir, mais en parle à son beau-frère, Guy Auboyer, photographe amateur qui, par ailleurs, dirige à Fléville-devant-Nancy (54) "Faire-part.com" et à Epinal (88) "Petite frimousse.com".

- Si tu te lances, je te suis", lui promet ce dernier.
Mais le projet est coûteux car ambitieux : au final une exposition de 300 mètres de long représentant l'un à côté de l'autre des portraits de 70 cm de largeur sur un mètre de hauteur.

- L'an passé, en "feugnant" (fouiner, en patois lorrain...) sur Internet, on a trouvé le logiciel gratuit adéquat : "Andrea Mosaïc" et, comme entre temps les ordinateurs dont nous étions équipés avaient monté en puissance, nous nous sommes lancés, explique Patrice Jacquemin, dont Yves Auboyer tire le portrait moustachu en utilisant pour le fond des scanners... sa feuilles d'impôt.

Puis ils vont voir le maire en 2006 et lui demandent ce qu'il pense du projet. Celui-ci, un agriculteur à la retraite, fait une réponse de Normand :

- Pourquoi pas ?

Yves a alors la bonne idée de le photographier avec son Konica Minolta 7D (un reflex 24x36) et, avec Patrice, de reproduire ensuite son portrait en juxtaposant des documents disparates : photos de fleurs, de tas de bois, de lavoirs du village, etc. Avec le support technique de l'imprimerie numérique Graphik à Maxéville, près de Nancy (54), sera tiré ainsi le premier portrait mosaïqué géant.
Patrice Jacquemin en profite pour négocier avec l'imprimerie le coût total des 300 portraits prévus pour une somme de 6.000 €, soit 20 € l'unité, investissement qu'il fait inscrire dans le budget global de l'Association des amis du livre de Fontenoy-la-Joûte qu'il préside.

Ne reste plus qu'à convaincre la population. Aux voeux de bonne année du maire, début janvier 2007, il présente le portrait mosaïqué de ce dernier aux habitants qui trouvent l'idée attrayante :

- Si tu as besoin d'un coup de main, n'hésite pas, demande nous...

Yves Auboyer se met alors au travail. Dans les rues du village, à la sortie de l'école, à la descente de bus, il aborde les habitants et leur demande de poser. La plupart acceptent, mais pas tous. Il pense qu'au final, entre 250 et 270 villageois (de la doyenne Marie Boulanger, 92 ans, au benjamin Alexis Royer, 2 mois et une semaine au moment de la photo) auront accepté de se faire tirer le portrait. Afin d'obtenir les tonalités différentes que le logiciel utilisera pour composer les visages mosaïqués, il les fait poser devant des fonds différents : chez eux, dans leur jardin, devant des plantes vertes, des arbres, des fleurs ou des balles de foins.

- Même les photos-tests pour régler l'éclairage et les clichés ratés sont intégrés dans ma banque de données pour l'enrichir. Ensuite, j'autorise le logiciel à contraster les photos et à monter certaines couleurs, mais pas trop, pour obtenir un résultat plus lisible.

Le résultat sera présenté lors de deux week-ends : d'abord, les 25 et 26 août 2007, de 11 h à 19 h, dans la galerie Daniel Mangotti, seront présentés tous les portraits normaux (non mosaïqués en petit format 21 x 29,7, encadrés par l'association Familles rurales. Cela par ordre alphabétique : d'Adam à Ways, ce dernier, qui tient la boutique "L'agité du bocal", étant le seul à présenter son portrait dans un aquarium.

Puis les 1er et 2 septembre 2007, les 250 à 300 grands portraits mosaïqués seront exposés en ligne sur le parking à l'entrée du village, côté Glonville :

- Ils seront accrochés à un câble tendu sur des piquets et présentés à hauteur de visage le long d'une interminable cimaise.

Le soir, Familles rurales préparera et servira un banquet géant, façon Astérix. Ceux qui n'auront pas voulu se laisser photographier seront ficelés à une branche comme le barde Assurancetourix !

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(source : Gérard Charut ; est magazine du dimanche 15 juillet 2007)