Annette, morte d'aimer.

Publié le par Michel Le Fouineur

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Parce qu'elle était juive et qu'elle voulait épouser un "aryen", la Nanceienne Annette Zelman fut arrêtée et déportée par les nazis, il y a 65 ans.
Une plaque sous le porche d'un immeuble de la rue des Soeurs-Macarons à Nancy (54). Un anonyme y a fait inscrire ces mots : "Ici habitait dans sa famille en 1938 une jeune fille juive heureuse, Annette Zelman... elle aimait la vie et craignait la haine. Arrêtée à Paris à 20 ans, elle fut déportée à Auschwitz. Ceux qui l'on connue et aimaie se souviennent."
Le destin d'Annette Zelman, née à Nancy le 6 octobre 1921, bascule le 23 mai 1942 lorsque la police procède à son arrestation. Motif : "projet de mariage avec un aryen" indique sa fiche administrative conservée au centre de documentation juive contemporaine à Paris. "Selon ce papier, Annette Zelman devait épouser un certain Jean Jausion. Mais les futurs époux avaient finalement renoncé par écrit à leur projet, conformément au désir inssistant du père du fiancé", indique le nancéien Claude Lévy-Lambert, membre du cercle de généalogie juive, qui a enquêté sur cettre tragique affaire. Le père du jeune homme, un médecin parisien, serait parvenu à dissuader son fils de se marier avec Annette Zelman et voulait simplement que cette dernière "soit remise à sa famille, sans être inquiétée", précise la police de l'époque. Mais les nazis pensent différemment. Le capitaine SS Theodor Dannecker, en charge de la "question juive" en France, vient d'élaborer "un programme de trois mois visant à arrêter et à déporter 39 000 juifs, dont 15 000 pour la seule région parisienne", indique Serge Klarsfeld dans son livre ''Le calendrier de la persécution des juifs en France". "Pour avoir eu ce projet de mariage, ma soeur a été prise dans la nasse, internée pendant quelques semaines d'abord au dépôt de la préfecture de police puis au camp des Tourelles, entre le 10 et le 21 juin", raconte Charles, son frère cadet. Dannecker a programmé un convoi pour le 22. Il se rend personnellement au camp des Tourelles, fait rassembler les 165 femmes qui s'y trouvent et en désigne 66. Parmi elles figure Annette Zelman. Le groupe est transféré immédiatement à Drancy pour compléter l'effectif du convoi numéro 3 où prendront place 934 hommes et les 66 femmes. Pour atteindre ce chiffre fixé par Dannecker, le commandant de Drancy fait désigner 150 anciens combattants juifs, "les moins intéressants", selon ses propres termes, "dont14 ayant fait la guerre de 14-18, un portant la Légion d'honneur."
Le train de la mort parviendra à Auschwitz le 24 juin. 80% de l'effectif seront immédiatement gazés ou tués dans les trois semaines suivantes. A la Libération du camp, il ne restait que 34 survivants de ce convoi, dont cinq femmes. Mais pas Annette Zelman, déclarée morte, selon son état-civil, trois jours après son arrivée à Auschwitz. "Aux yeux des autorités d'occupation, elle était coupable, non seulement d'être juive, mais d'avoir ausé aimer et être aimée par un Français non juif", souligne Claude Lévy-Lambert. "Annette était une jeune fille vive, gaie, qui avait un vrai talent d'artiste", insiste Charles Zelman, Montée à Paris pour faire des études aux Beaux-Arts, elle avait très vite été adoptée par le petit monde des créateurs de Saint-Germain-des-Près. Elle y rencontrera Jean Jausion, un peu journaliste et un peu poète qui avait déjà publié à l'époque un recueil sous le titre "Polyphène où l'escadron bleu" et dont le récit, "L'homme qui marche dans la ville" sera adapté au cinéma après la guerre. "Il travaillait aussi pour la revue Le Rouge et le Bleu, un hebdomadaire plutôt pétainiste mais qui était le refuge d'une certaine pensée patriote malgré tout...", insiste Charles Zelman.
Annette, elle, était née dans une famille juive polonaise venue en France au début des années 1920 : "Pour ces juifs, la France était le Paradis. Ils aimaient répéter ce proverbe : heureux comme Dieu en France !", cite Claude Lévy-Lambert. Le père, Mocek, originaire d'Alexandrow en Pologne, était un modeste tailleur d'habits, travaillant rue de la Hache à Nancy (Lorraine-54). Son épouse Kaïla, l'aidait un peu tout en élevant leurs cinq enfants. Avant guerre, Annette avait fréquenté le lycée Jeanne-d'Arc. Lors du centenaire de l'établissement, en 2002, une plaquette fut publiée pour rendre hommage aux anciennes élèves, "victimes de la barbarie nazie" : au côté du visage souriant d'Annette figurent ceux de onze autres enfants et adolescentes dont six ne reviendront pas de déportation.
Dernier souvenir d'elle : par l'étroite fenêtre du train qui l'emportait vers Auschwitz, Annette aurait eu le temps de jeter une enveloppe : "Elle a sans doute été récupérée par un cheminot et a été postée en Moselle", précise son frère qui rendra visite au père du jeune homme après la guerre. "Je ne voulais pas l'accabler, il n'était pas vraiment responsable", ajoute Charles Zelman. C'était à l'occasion de cette rencontre  qu'il apprendra le sort de Jean Jausion : engagé dans la Résistance, participant à la libération de la capitale et "tué dans les combats contre l'occupant", assure Henri Amouroux dans son livre "La vie des Français sous l'occupation" publié en 1961. Le fiancé rejoignait dans la tombe son bel amour impossible de 1942...
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(source : François Moulin ; est magazine du dimanche 27 mai 2007)

Publié dans personnage

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