Carambar, le caramel blagueur.

Publié le par Michel Le Fouineur

Mon premier colle aux dents, mon second raconte toujours une petite blague, et mon tout fait le bonheur de générations de gourmands. Depuis plus de 50 ans, le Carambar fait recette.
D'abord, il y a cette forme oblongue, comme une frite sucrée, et ces couleurs rouge et jaune qui attirent l'oeil. Ensuite, il y a la monnaie du pain, 5 centimes de franc ou 10 centimes d'euro. C'est elle qui, dans la plupart des cas, permet l'achat du Carambar, placé à hauteur du regard des enfants dans les boulangeries. Il y a également la tradition, qui convainc les parents devant un présentoir de sucreries  :
- D'accord, mais je t'achète un Carambar.
S'en suit un challenge pour les doigts : parvenir à retirer le précieux caramel sans altérer l'emballage. Enfin, le gourmand est confronté à un dilemme cornélien : précipiter la friandise dans sa bouche pour entamer le long processus qui consiste à faire fondre tendrement le caramel entre la langue et le palais, mais être incapable de prononcer le moindre mot pendant cinq minutes, ou conserver le Carambar à la main afin de pouvoir lire à haute voix la blague inscrite à l'intérieur de l'emballage. D'un côté le gourmand égoïste, de l'autre le comique altruiste ?
Ce n'est pas tout à fait vrai : si un Carambar ne se partage pas, c'est d'abord parce qu'il est compliqué de couper en deux ce caramel, trop mou pour être cassé, trop dur pour être séparé. Enfin, en ce qui concerne la blague, elle restera toujours une "blague Carambar" et le lecteur n'obtient pas toujours l'effet escompté. Ne dit-on pas d'ailleurs d'un mauvais jeu de mot : "Tu l'as trouvé dans un Carambar ou quoi ?" Egoïste et pas si drôle, pourquoi le Carambar est-il alors si populaire ? Probablement parce qu'il allie deux notions de marketing aujourd'hui en vogue : simplicité et authenticité. Malgré une multiplication des saveurs offertes aux gourmands (seize différentes aujourd'hui), le Carambar classique remporte toujours le plus grand succès. Les parents y retrouvent la saveur de leur enfance, et transmettent à leur progéniture un témoignage de leur jeunesse.
Le Carambar possède une histoire. Pas une blague, mais une erreur. Qui a donc imaginé de produire un bonbon en forme de frite ? Personne. C'est une machine de l'usine Delespaul-Havez, à Macq-en-Baroeul dans le Nord, qui s'en est chargée. En 1954, ne sachant que faire d'un surplus de cacao, deux ingénieurs inventent une recette originale, mêlant le caramel au cacao. Qu'ils placent dans une machine à bonbons traditionnelle : celle-ci se dérègle et sort une barre de friandise de 6,2 cm de long.
Du caramel en barre ? Caram'bar ! La friandise gagne rapidement la bouche et le coeur des bambins, grâce à une idée marketing : sur chaque emballage, un point "DH" est imprimé, qui permet de gagner des cadeaux : affiches, voitures miniatures, ballons, etc. Au début des années soixante, 300 millions de barres sont vendues chaque année en France. Un succès sur lequel vont lorgner différents groupes industriels : Delespaul-Havez est racheté en 1965 par la Générale alimentaire (qui possède déjà La pie qui Chante, Vandamme, Amora).
Le groupe intègre l'année suivante Magnez-Bossard, l'imitateur de Carambar, qui fabriquait depuis 1960 des barres similaires mais au nougat : le Caranouga.
1969, année humoristique pour Carambar. La Générale alimentaire lance un grand concours pour ses gourmands : les auteurs de blagues sélectionnées par un jury sont récompensés par leur poids en Carambar. Depuis, la blague a quasiment surpassé le bonbon lui-même. Il suffit d'observer adultes et enfants s'appliquer à ne pas abîmer l'emballage afin de garder le calembour intact. Il y a aussi les frustrés de la blague à demi imprimée, dont on ne peut qu'imaginer la fin.
En plus de trente ans, la blague Carambar est même entrée dans le langage courant, et fait l'objet d'un mythe : peut-on postuler pour un poste de "rédacteur de blague" ? Aujourd'hui encore, Carambar réalise, via son site Internet, des concours de blagues. Mais les temps (et surtout le soin des dents) ont changé : un tirage au sort est réalisé parmi les rédacteurs pour gagner 20 sachets de bonbons.
Depuis les années 1970, Carambar a poursuivi son petit bonhomme de bonbon. En 1972, grande évolution, Caram'bar prend 2 centimètres et devient "Super Caram'bar". L'année suivante, la marque décide de diversifier les saveurs et crée Caram'bar fruits (fraise, orange, citron).
En 1977, l'apostrophe disparaît (le "super" sera retiré, lui, en 1990). Carambar poursuit sa diversification avec plus ou moins de réussite : Carambar réglisse en 1977 est un échec, mais Carambar Cola qui reproduit le goût de la boisson en 1984, reçoit un accueil favorable. La marque est alors la propriété de Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN, ancien nom de Danone), qui innove du côté des saveurs. D'abord avec les "deux goûts" (banane-fraise et tutti frutti-citron vert), les "Eloustic" (fourrée d'une substance gélifiée) et les "Atomic" (à la poudre piquante). Il s'agit pour la marque à l'image et au logo très traditionnels de faire face à une concurrence toujours plus inventive, qui n'hésite pas à user de procédés chimiques pour séduire les cours de récréations. Colorer la bouche ("Elousticolors"), piquer encore plus la langue ("Atomic pique un max" et "Atomic cactus").
Aujourd'hui, le Carambar dispose de mensurations idéales. Huit centimètres pour 8 grammes. Un prix adapté à l'euro : 0,10 centime, soit la plus petite pièce jaune, celle qui encombre le porte-monnaie. La production atteint plus de 5000 tonnes, soit 1,2 milliard de petites barres. Mais Carambar a du mal à s'exporter, puisque 85 % des barres sont consommées en France. Probablement grâce aux histoires drôles, la Belgique est le deuxième pays dans lequel Carambar se vend le mieux. Sans blague.
(source : Directsoir n° 182, lundi 2 juillet 2007)
 

Publié dans tradition

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