La véritable histoire de l'Inquisition en 10 questions.
Inquisition : un mot qui fascine et qui fait peur ; une histoire sombre qui évoque le fanatisme religieux et les flammes des bûchers où périrent nombre de personnes qualifiées d'"hérétiques". Des cathares languedociens aux juifs convertis d'Espagne, ce tribunal d'exception a poursuivi dans toute l'Europe ceux qui ne répondaient pas aux critères de l'orthodoxie catholique. Mais cette vision terrible - bien réelle - doit cependant être replacée dans un contexte historique précis.
Plusieurs ouvrages sont parus récemment sur l'Inquisition. Les recherches les plus actuelles des historiens ont permis de rectifier de nombreuses idées fausses sur la nature et l'importance des hérésies et sur le fonctionnement de cette institution de répression qui est installée à partir de 1223 par la volonté du pape.
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1 - Pourquoi l'Inquisition a-t-elle été créée ?
1233 : le pape Grégoire IX est inquiet. Malgré la croisade lancée en 1209 par son prédécesseur Innocent III contre la secte des Albigeois, les hérésies n'ont pas disparu. Il crée alors une institution judiciaire d'exception qui relèvera seulement de lui : c'est l'Inquisition (du verbe latin inquirere, enquêter). Sa mission est de mener l'enquête sur la foi dans les régions où celle-ci semble menacée, c'est-à-dire le nord et le centre de l'Italie, la vallée du Rhin et le Midi de la France. C'est dans cette dernière région surtout que d'affiche la plus voyante des hérésies, celle représentée par les cathares, appelés aussi "Albigeois" car ils étaient relativement nombreux à Albi. Pour mener à bien ce travail, le pape choisit le tout nouvel ordre des Frères prêcheurs. Créés en 1215 par l'Espagnol Dominique de Guzman, les Frères prêcheurs, qu'on appellera bientôt "dominicains", tentent de reconquérir les coeurs des fidèles par la persuasion et montrent l'exemple d'une vie de pauvreté. Ils répondent ainsi aux vives critiques à l'encontre de certains ecclésiastiques dont le mode de vie, peu en rapport avec l'Evangile, alimente les défections. Les dominicains vont devenir les inquisiteurs zélés du pape.
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2 - Qui étaient les cathares ?
Ce terme, à l'origine péjoratif, a été forgé par les inquisiteurs. Il vient soit de "pur" en grec soit de "chat" en allemand, cet animal à la réputation diabolique. Les cathares, eux, se désignaient respectueusement comme "bon chrétien" "bon chrétienne", "bon homme" ou "bonne femme". Ils se revendiquaient comme les vrais chrétiens. Pour eux, notre monde ici-bas était mauvais, vain, en proie à la décomposition. L'au-delà, au contraire, était le véritable royaume de Dieu, parfait et éternel. L'unique but de la vie terrestre était de préparer l'entrée de l'âme à ce paradis. Si l'âme avait été mal préparée par une vie trop dissolue, elle se réincarnait dans un autre homme ou animal, êtres imparfaits, en attendant de devenir digne du Royaume.
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3 - L'hérésie cathare touchait-elle beaucoup de monde ?
Les estimations les plus vraisemblables tournent autour de 10% de la population urbaine du Languedoc, au plus fort de l'épanouissement du catharisme, c'est-à-dire au début du XIIIe siècle. En Languedoc, les cathares semblent avoir rapidement gagné à leur cause une partie des notables dont les aspirations religieuses et sociales plus "modernes" sont bloquées par le conservatisme du système féodal soutenu par l'Eglise. Si le catharisme est très minoritaire, il est relativement toléré par la population et le clergé pendant tout le XIIe siècle. Les choses changent en 1209 avec la croisade contre les Albigeois qui oblige les hérétiques à entrer dans la clandestinité.
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4 - Comment fonctionne l'Inquisition ?
Le pape désigne généralement deux dominicains pour chaque tribunal avec une mission très spéciale : mener l'enquête sur la droiture de la foi des paroissiens. Leur outil essentiel est l'interrogatoire, dont le contenu est minutieusement noté et archivé. La torture physique est autorisée à partir de 1254, mais elle est beaucoup moins pratiquée que les pressions psychologiques, notamment la prison préventive. En effet, le but est de faire avouer aux accusés leurs erreurs afin d'assurer, même malgré eux, leur abjuration et donc leur salut.
- Les inquisiteurs ne sont généralement pas des sadiques mais des professionnels de l'interrogatoire, dans un monde où la notion de liberté de conscience n'existe pas, explique l'historien Laurent Albaret. Ils savent que sous la torture, les accusés avouent n'importe quoi. Mais ils travaillent dans le secret et utilisent les dénonciations. L'accusé n'a pas d'avocat ni le droit de faire appel.
A la fin d'une enquête, l'inquisiteur rend publiquement ses condamnations, parfois à mort, mais le plus souvent à des peines plus ou moins sévères de prison, ou au port de vêtements montrant à tous l'infamie de l'hérétique.
Rien qu'au tribunal de Toulouse, Laurent Albaret estime que 20.000 à 30.000 interrogatoires ont probablement été menés au XIIIe siècle.
- Le plus grand succès de l'Inquisition est sans doute d'avoir si bien quadrillé le territoire qu'elle a installé la peur de l'hérésie dans la pensée des habitants et l'idée que le salut ne peut s'obtenir qu'au sein de l'Institution.
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5 - Y a-t-il eu des résistances ?
Les débuts des inquisiteurs sont difficiles : en 1235, les dominicains sont même chassés de Toulouse par la population qui se révolte contre ce nouveau tribunal et ses sanctions exagérées. Les évêques, dépossédés de leurs pouvoirs, de justice, n'aident pas beaucoup ces juges d'un nouveau genre qui ne rendent des comptes qu'au pape. Cependant, dans l'ensemble, la population reste passive, craintive et répond aux convocations terrifiantes de l'inquisiteur. Car ne pas témoigner contre un hérétique, c'est aussi compromettre son propre salut.
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6 - L'Inquisition a-t-elle gagné contre les cathares ?
Oui et non. Après 1330, les cathares disparaissent totalement du sol de France. Il est évident que la peur de passer devant le tribunal et celle de brûler en enfer, distillées sur la population languedocienne pendant plus de soixante ans, ont joué un rôle dissuasif. Mais en réalité, d'après les historiens, le catharisme se serait effacé peu à peu par manque de nouvelles recrues : l'action pastorale des ordres mendiants, dominicains et franciscains, aurait opéré une véritable reconquête spirituelle des fidèles.
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7 - Qui sont les autres victimes ?
L'Inquisition a poursuivi d'autres mouvements séparatistes : les vaudois, héritiers d'un certain Pierre Valdès qui refuse d'abjurer, aux alentours de 1179 à Lyon : les pseudo-apôtres, un mouvement qui annonce la fin du monde en Italie du Nord, en 1260 ; tous ceux et celles qui sont accusés de pratiquer la sorcellerie ou d'observer des pratiques jugées déviantes ; et les juifs au XIVe siècle. Néanmoins à partir du XIVe siècle, l'Institution, qui intègre désormais les évêques, tombe en désuétude en France, faute d'ennemis à combattre, mais surtout parce que la papauté est moins puissante. La justice royale et celle des parlements régionaux prennent désormais le relais.
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8 - Combien de victimes au total ?
Faute d'archives complètes,, il est impossible de chiffrer exactement les condamnations des inquisiteurs. La peine de mort est le plus souvent réservée aux "relaps", les hérétiques repentis qui ont "replongé" dans leurs erreurs. L'un des inquisiteurs les plus terribles, Robert le Bougre, fait brûler plus de 300 cathares en Bourgogne et en Champagne entre 1233 et 1239. Son fanatisme est si choquant qu'il est démis et emprisonné en 1241. Autre fait traumatisant : en 1244, la forteresse de Montségur où s'était rassemblée, autour du seigneur des lieux, une grosse communauté cathare est prise d'assaut par les troupes du roi de France. Deux cents hérétiques vont alors mourir sur le bûcher. Mais ces excès ne sont pas la règle. Bernard Gui, inquisiteur qui semble se situer "dans la moyenne", prononce 636 sentences mais seulement 40 personnes sont condamnées au bûcher, soit moins de 10 %. Les autres vont au cachot ou en prison, en pèlerinage, ou doivent porter des croix cousues sur leurs vêtements en guise de pénitence.
A la fin du XVe siècle, une nouvelle Inquisition, entièrement dirigée par les rois d'Espagne, est chargée de vérifier la droiture des juifs convertis, les "conversos", soupçonnés d'être de mauvais chrétiens. Elle entraine "l'une des plus puissantes vagues d'antisémitisme que l'on ait connues en Europe", écrit l'historien Bartolomé Bennassar, dans le magazine L'Histoire. Plus de 6.000 personnes montent sur le bûcher, dont l'immense majorité avant 1530.
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9 - Quel est l'héritage de l'Inquisition dans la société ?
Jacques Chiffoleau, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, attire l'attention sur un héritage "invisible" de l'Inquisition : notre système judiciaire actuel !
- Jusque-là, au Moyen Âge, le juge ne faisait que trancher entre deux parties qui lui exposaient chacune leur version des faits, à la suite d'une plainte. Avec l'Inquisition, il y a ouverture systématique d'une enquête, menée par un homme seul. Celui-ci travaille dans le secret de l'instruction et recherche, avant tout, l'aveu. Il peut recourir à la prison préventive pour amollir le prévenu et personne ne va mener d'enquête contradictoire pour le défendre.
Le pouvoir royal, puis républicain, a donc repris à son profit l'organisation très efficace de la procédure inquisitoriale... en reconnaissant progressivement des droits à la défense.
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10 - Qu'appelle-t-on "légende noire de l'Inquisition" ?
L'Inquisition ne peut guère prétendre à une image positive ! Cependant, à la Révolution française, puis au XIXe siècle, les historiens laïcs en ont présenté un tableau exagérément sombre : instrument d'oppression du peuple, symbole du pouvoir absolu de l'Eglise. Certains érudits ont cru voir dans la répression des cathares, la première édition d'un conflit entre le Sud et le pouvoir centralisateur parisien ! Les chiffres les plus fantaisistes ont été avancés. Aujourd'hui, le dépouillement systématique des archives qui ont échappé aux ravages du temps et leur relecture par les historiens ont permis de tempérer cette "légende noire" !
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(source : Sophie Laurant : Pélerin n° 6503 du jeudi 19 juillet 2007)