Des bêtes... bêtes, et d'autres plus rusées.
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Les animaux, c'est officiel, peuvent avoir leur propre personnalité qui les différencie les uns des autres et concourt, ou non, à la survie de l'espèce. On s'en doutait un peu...
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Des scientifiques néerlandais viennent de réaliser une importante enquête qui tend à prouver que "l'évolution des animaux ne serait pas le fruit d'une simple sélection naturelle spontanée, mais d'une stratégie complexe due à de véritables "personnalités" de certains individus." En clair, les savants bataves ont découvert que dans tout groupe animal, des calmars aux araignées jusqu'aux oiseaux en passant par les éléphants, il n'y a pas que des grosses brutes (qui survivent) et des physiquement faibles (qui leur servent de pâture), mais aussi des petits malins, de fieffés imbéciles, de grands timides et d'intrépides curieux, et que ces caractères aussi favorisent, ou non, la survie des individus et celle du groupe. La belle affaire ! Toute personne qui a vécu au contact un peu prolongé de chiens, chats, chevaux, vaches, cochons, couvées et autres poissons rouges pouvait évidemment se douter que même un calmar, ce n'est pas un légume, et que plusieurs individus, de même taille, même sexe, même aspect, pouvaient avoir des comportements différents. Mais que sait-on au juste de la personnalité des légumes ?
En attendant que la science nous éclaire sur cette question, il serait grand temps que nombre d'animaux sauvages repèrent les meilleurs d'entre eux pour déjouer un péril qui sinon leur sera fatal : l'Homme. En effet, pour s'enrichir, satisfaire leurs appétits ou leurs fantasmes, certains de nos homologues à deux pattes sont prêts à massacrer la terre entière, océans compris. Grâce, par exemple, à la technologie militaire (autre sauvagerie des humains), la chasse et la pêche sont devenues des sciences exactes : avec leurs sonars et leurs avions de repérage, les thoniers de Méditerranée ne laissent plus aucune chance aux bancs de thons rouges. A ce rythme, en 2020, il n'y en aura plus. Idem pour la morue, la baleine à bosse, la langoustine...
Pour les rhinocéros à une corne du Népal, l'affaire est d'ores et déjà bouclée. A l'issue de dix ans de guerre civile, qui a fait fuir tous les gardes du parc national de Bardiya, dans le sud-ouest de ce petit royaume de l'Himalaya et lâché dans la nature des hommes armés de kalachnikovs, seuls trente et un de ces pachydermes sur les cinquante-neuf recensés dans les années 1990 ont survécus. En Inde, de l'autre côté de la frontière, leur situation est à peine meilleure. Selon les spécialistes, il n'en resterait sur terre en tout et pour tout qu'à peine deux mille sept cents. Toujours très menacés : à trente-cinq mille dollars le kilo de corne - très prisée en Chine pour ses prétendues vertus aphrodisiaques et dans les pays du Golfe pour faire des manches de poignard d'apparat -, le survie des rhinocéros ne pèse pas lourd.
Pour des raisons similaires et tout aussi fantasques, les derniers tigres sauvages (quelque six à sept mille individus, essentiellement en Inde) ont toutes les raisons du monde de se faire du mouron.
Parfois, la vénalité des humains n'est même pas en cause dans la disparition d'une espèce animale. Sa seule bêtise suffit. Ainsi, en Afrique du Sud, le vervet, un petit singe vert de quarante-cinq à soixante centimètres, au visage encadré de blanc, qui pullulait en bandes, dans la région de Pretoria, est au bord de l'extinction. A cause, évidemment, de l'extension de la ville qui détruit son habitat, mais ce n'est pas son pire fléau. L'animal, peu farouche et plutôt frugal, n'a pas de grands besoins : quelques arbres, des fruits sauvages, une rivière pour nager. Non, sa malédiction relève d'un autre registre : la rancune. Une rancune qui date d'un jour funeste de 1937 quand l'un de ses congénères peu inspiré - un "fieffé imbécile" comme diraient nos savants bataves - mordit la file d'un ministre ! Classé depuis comme "vermine", le petit primate ne connaît plus de répit...
Le lynx ibérique, un petit félin sauvage qui survit difficilement en Espagne et au Portugal, lui, a plus de chance. Peut-être parce que l'un des siens, sûr de son charme, a fait de l'oeil à quelque écolo influent, à moins qu'il ne s'agisse du ministre en personne ? Toujours est-il que le ministre de l'Environnement espagnol a publié un avis défavorable à la construction d'une autoroute de trois cent kilomètres qui devait relier Tolède à Cordoue au prétexte qu'elle traversait la Sierra Morena, où, justement, notre lynx a ses ultimes pénates, en compagnie d'autres jolis spécimens de la faune sauvage en danger comme l'aigle impérial ou le vautour noir. Cette mesure courageuse d'un responsable qui ne pense pas qu'argent et vitesse suffira-t-elle à sauver la peau du bel animal ? Pas sûr : au nombre de deux à trois cents encore en liberté (contre cent mille au début du XXe siècle) le petit félin tacheté serait l'une des espèces au monde les plus menacées.
Goupil, lui, en revanche, ne risque pas de disparaître. Malin comme on le sait depuis que ses frasques et aventures ont été narrées dans "Le Roman de Renart" (XIIe siècle), il s'acclimate à toutes les situations. Sauf, peut-être, à la chasse à courre. C'est en tous les cas le message qu'il a réussi à transmettre, via un artiste britannique, à la reine d'Angleterre et à son mari, le duc d'Edimbourg, grand adepte de cette pratique ancestrale qui consiste à épuiser sa proie des heures durant avant de l'achever à l'arme blanche. Pour protester "contre cette façon dont la famille royalr traite les animaux", Mark McGowan, artiste iconoclaste et provocateur, a mangé en direct à la télé du corgi, un petit chien qui ressemble drôlement à un renard (sans queue) et dont la reine possède une trentaine de spécimens qu'elle visite tous les matins après sa sacro-sainte tasse de thé.
- C'était vraiment immonde, avec une odeur épouvantable, a commenté l'auteur de ce crime de lése-majesté.
Avant d'ajouter que le corgi dont il n'avait pris qu'une bouchée était décédé de mort naturelle, contrairement au renard lâchement assassiné ! Le syndicat des rusés renards a bien travaillé.
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(source de ce texte : Luc Le Chevalier ; Notre Temps/jeux octobre 2007)