Identité française - Toute une histoire !

Publié le par Michel Le Fouineur

Faut-il être fier de notre passé ou en avoir honte ? La question est d'importance tant, en France, l'histoire constitue un pilier de l'identité nationale. Identité que l'on dit en crise. Les politiques l'ont bien senti qui, de commémoration en repentance, sont au chevet de notre mémoire. Comment les historiens voient-ils ces initiatives ? Au moment où Blois (Loir-et-Cher) accueille les Rendez-vous de l'Histoire, nous leur donnons la parole.
Max Gallo sent qu'il a touché juste.
- J'ai reçu des milliers de lettres à propos de mon livre "Fier d'être Français". Ce débat sur l'histoire cause une vraie souffrance. Beaucoup de lecteurs ne supportent plus de voir la France mise en accusation, analyse l'essayiste.
Accusée de quoi ? D'avoir joué un rôle actif dans l'esclavage, la colonisation, la déportation de juifs sous l'Occupation, etc. Quand Jacques Chirac prononce, en 1995, un discours sur la responsabilité de la France - et pas seulement du "régime de Vichy" - dans la rafle du Vel'd'Hiv' de 1942 qui a entraîné la déportation de 12.800 juifs, ou quand le Parlement vote, en 2001, une loi qui qualifie de crime contre l'humanité la traite des Noirs, ces actes de mémoire peuvent être perçus comme une critique de la France d'aujourd'hui à travers son histoire. Et que dire lorsque l'association les Indigènes de la République, qui regroupe des minorités visibles, fait circuler - c'était en 2005 - une pétition affirmant que le racisme contemporain en France est directement hérité de l'ére coloniale. De telles initiatives sont ressenties par beaucoup, dont Max Gallo, comme des entreprises de culpabilisation qui suscitent des "repentances" en série.
La polémique dépasse largement le débat entre historiens, tant cette histoire de France, si critiquée, constitue l'un des fondements de l'identité nationale. Une identité que beaucoup sentent menacée, au même moment, par la mondialisation, la construction européenne, les revendications qualifiées de "régionalistes", les mémoires de telle ou telle communauté, etc.
- L'histoire nationale a cédé la place à une mosaïque de mémoires particulières, constate Antoine Prost, professeur émérite à l'université de Paris I-Sorbonne, à Paris.
- C'est périlleux, car la collectivité a besoin de se reconnaître dans une histoire commune, ajoute Max Gallo.
On comprend donc que le récit historique soit devenu un enjeu politique de premier plan.
On l'a constaté lors de la campagne présidentielle lorsque Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont cherché à faire vibrer la fibre patriotique des électeurs. Dans son discours du 14 janvier 2007, le futur président évoque ainsi les grandes figures de l'histoire de France, dénonce les gestes de repentance et appelle à se retrouver dans une France qui dépasse toutes les différences :
- Il ne s'agit pour personne d'oublier sa propre histoire. Les enfants des républicains espagnols parqués dans les camps de réfugiés, les enfants des juifs persécutés par la Milice, les descendants des camisards des Cévennes, les fils de harkis n'ont rien oublié de leur histoire. Mais ils ont pris, comme moi, fils d'immigré, la culture, la langue et l'histoire de la France en partage, pour mieux vivre une destinée commune.
A peine élu, le nouveau président assiste à un hommage aux trente-cinq jeunes résistants fusillés par les nazis en 1944, dans le bois de Boulogne, à Paris. Et décide, peu après, que la lettre d'adieu du Guy Môquet, jeune militant communiste de 17 ans fusillé par les nazis en 1941 à Châteaubriant (Loire-Atlantique), sera lue et commentée dans tous les lycées de France, le 22 octobre, date anniversaire de sa mort.
- Il se replace ainsi dans le discours classique de l'héroïsme national, analyse Max Gallo.
Ce mouvement de balancier entre histoire héroïque et histoire accusatrice n'est pas nouveau. Pendant quasiment deux siècles, le débat politico-historique en France a tourné autour de la Révolution Française, qu'il s'agisse de célébrer ses avancées (Déclaration des Droits de l'Homme, etc.) ou de condamner ses dérives sanguinaires. La Seconde Guerre mondiale a en partie pris le relais.
- Après 1945, note Antoine Prost, on a d'abord voulu nous faire croire que tous les Français étaient de sublimes résistants puis, à partir des années 1970, une vague de livres et de films sur le régime de Vichy a fait croire qu'ils étaient majoritairement collabos. La vérité est évidemment plus nuancée.
C'est un lent travail de synthèse qui permet d'aboutir progressivement à une vision plus équilibrée - sans être consensuelle - de l'Occupation.
Ce même travail commence à peine pour l'histoire de la colonisation, au rythme de l'apparition de nouvelles générations qui s'interrogent sur les générations précédentes. Difficile d'éviter, sur ces sujets, l'affrontement entre histoire savante, mémoire affective d'un groupe particulier, morale et politique. Pour Max Gallo, "il faut tout exposer, les parts d'ombre et de lumière. Le siècle de Louis XIV a vu naître Versailles, mais aussi le Code noir qui réglementait l'esclavage. Cela paraît criminel avec nos yeux d'aujourd'hui. Mais, de grâce, évitons l'anachronisme qui consiste à juger les actes d'autrefois avec nos idées actuelles. Gardons une démarche d'historien."
Par exemple, explique le professeur Antoine Prost, "rappeler la rafle du Vel'd'Hiv' est utile, mais la forme même de la commémoration risque en même temps d'isoler l'événement de son contexte. Il faut certes montrer la responsabilité de la police française, mais on peut aussi rappeler que des policiers français ont averti des familles juives, qui ont pu s'enfuir à temps. La moitié des 28.000 personnes "ciblées" ont ainsi pu échapper à la rafle, qui a d'ailleurs été considérée comme un semi-échec par les Allemands."
Faut-il voir la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine ?
- A propos de l'Occupation comme de la traite des Noirs ou d'autres événements plus ou moins anciens, il ne faut pas faire de tous les Français d'affreux salauds !, plaide Antoine Prost.
Ni procureurs ni avocats, les historiens ne refusent pas pour autant de se frotter aux questions qui agitent la société. Aux Etats-Unis, par exemple, la recherche historique a révélé des aspects méconnus de la guerre de Sécession ((1861-1865) pour répondre aux demandes des Noirs qui venaient d recouvrer leurs droits civiques dans les années 1960.
- Jusque-là, ces derniers étaient présentés comme des spectateurs passifs de la guerre. Plusieurs travaux d'historiens ont mis en valeur le rôle de nombre d'entre eux, engagés sous l'uniforme nordiste ou espions infiltrés chez les sudistes, explique Herman Lebovics, professeur émérite d'histoire de l'Europe à l'université de New York Stony Brock. L'enseignant américain estime qu'en France, le film "Indigènes" de Rachid Bouchareb, récompensé au Festival de Cannes en 2006, a joué un rôle similaire en valorisant les soldats maghrébins - et donc leurs descendants - qui ont combattu dans l'armée française en 1940-1945.
- Le patriotisme est une bonne colle, qui ne coûte pas cher, pour faire tenir une collectivité, rappelle malicieusement Herman Lebovics.
En revanche, ce que les historiens rejettent avec force, c'est la prétention qu'ont certains hommes politiques de leur dire ce qu'ils doivent enseigner. Pour eux, la ligne continue a été franchie, le 23 février 2005, avec un amendement à une loi concernant les rapatriés d'Algérie. Un amendement - supprimé quelques mois plus tard à la demande du président Chirac - qui proclamait le "rôle positif de la présence française" en Afrique du Nord et demandait à l'école de relayer ce message. En voulant faire un geste en direction des associations de rapatriés, les députés ont déclenché une levée de boucliers dans les anciennes colonies françaises, chez les personnes originaires de ces pays et chez les historiens.
- Les précédentes lois mémorielles (qualifiant de génocide le massacre des Arméniens par les Turcs en 1915, ou de crime contre l'humanité la traite des Noirs, etc.) étaient peut-être discutables, mais elles ne cherchaient pas à imposer un discours officiel à la communauté enseignante et savante ! s'insurge l'historien Gérard Noiriel, fondateur du Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (CVUS). D'autres historiens ont même souhaité que les députés reviennent sur toutes les lois qui prétendent dire l'histoire, y compris la première d'entre elles, la loi Gayssot de 1990, qui interdit de nier la réalité historique de la Shoah.
Pour éviter les polémiques, suffirait-il de s'en remettre aux historiens ? Ces savants peuvent-ils départager tout le monde en disant une vérité incontestable ? La question semble naïve aux intéressés. D'abord, parce que nul ne peut affirmer échapper totalement aux idéologies du moment. Ensuite, parce que les professeurs d'histoire sont nombreux à revendiquer leur rôle de formateur de citoyens, qui est finalement un rôle politique au sens noble du terme. Et surtout parce que, insiste Antoine Prost, "l'histoire n'est pas le monopole des historiens, mais appartient aussi aux témoins, aux journalistes, aux hommes politiques. Simplement, l'Etat n'a pas à proclamer ce qu'et une vérité historique officielle."
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(source : Frédéric Niel ; Pélerin n° 6515 du 11 octobre 2007)

Publié dans société

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