Chine - Les pics célestes du Huang Shan.

Publié le par Michel Le Fouineur

Située au coeur de l'empire du Milieu, cette chaîne de montagnes est sacrée pour les Chinois. Voyage en compagnie de François Cheng, poète membre de l'Académie française, dans ce lieu vénérable entre pins et rochers, brumes et nuages.
Que signifie donc, aux yeux des Chinois, la montagne ? Pour y répondre, il nous faut faire un léger détour, en évoquant brièvement la cosmologie chinoise. D'après celle-ci, le souffle primordial émanant du vide originel se divise en deux souffles vitaux, yang et yin, représentant respectivement le principe de la force active et celui de la douceur respective, les deux entités s'attirant dans la tension et se complétant dans l'harmonie. Avant tout yang par ses rochers et ses pics, la montagne n'est point dépourvue de yin grâce à ses sources et ses cascades. Elle recèle en son sein brumes et nuages qui l'entraînent sans cesse dans de secrètes métamorphoses. Les sages et les artistes chinois l'ont compris, qui ont cherché avec tant d'ardeur à communier avec elle.
Au VIIIeme siècle, Li Po, le grand poète de la dynastie Tchang, en quête de rencontres avec des ermites et d'un état de communion totale avec la Création, faisait de fréquents séjours en montagne. Ses riches expériences, il les résumera dans un célèbre quatrain :

 
Pourquoi demeurer au coeur de ces vertes montagnes ?
Je souris, sans répondre, le coeur tout serein.
Fleur de pêcher, au gré de l'eau : mystérieuse voie...
Un ciel-terre autre, non celui des humains !

 
De leur côté, les peintres chinois, en représentant la montagne à travers les âges, recréent inlassablement un espace médiumnique où le fini rejoint l'infini. Dans cette tradition cosmologico-artistique, le Huang Shan jouit d'un statut tout à fait privilégié. Situé en plein coeur du vaste pays du Milieu, il réalise ce point d'équilibre où le nord vient à la rencontre du sud, où le fleuve Yang-Tsé, coulant de l'ouest vers l'est et alimentant dans la région une constellation de lacs, concourt à la formation d'un paysage de magnificence. Ce paysage si typique constamment baigné dans une brume colorée et mobile, incarne l'idéal de la peinture chinoise. D'ordinaire, pour qualifier un tableau de paysage bien exécuté, on dit qu'il est "plus vrai que nature". Ici, au sein du Hang Shan, le visiteur subjugué ne manque jamais de s'exclamer :
- Mais c'est plus vrai que la peinture chinoise !
En effet, cette peinture montre souvent des paysages si éthérés, irréels, que ceux-ci donnent l'impression d'avoir été imaginés par les artistes. Or, le Huang Shan est justement un de ces lieux en Chine qui démentent cette impression.
Comment ne pas être frappé, ici, par la présence odorante et bruissante de ces fameux pins découpant dans le vide leurs silhouettes majestueuses ou tourmentées ? Certains s'élancent en véritables seigneurs du lieu, esquissant les gestes d'un cérémonial millénaire : le pin Accueillant-les-Hôtes, le pin Coussin-de-prière. Aussitôt après les pins, s'imposent les masses noires des rochers granitiques aux formes fantastiques et aux noms évocateurs : le rocher Ecureil, le rocher paon-jouant-avec-le-lotus... A Huang Shan, les arbres et les pierres sont intimement liés : plus que solidaires, ils sont inséparables. Beaucoup de pis poussent en effet à même le rocher, s'arrachant du dur carcan avec une force stupéfiante.
Si les Chinois sont sensibles au jeu formel entre ces deux espèces minérale et végétale, ils le sont encore plus au dialogue essentiel, plein de connivence, qu'elles nouent entre l'enracinement dans la Terre et l'élan vers le Ciel, entre la rigueur et la grâce, dialogue auquel participe en profondeur l'esprit humain. Un poème d'inspiration taoïste ne dit-il pas :
 
Rocher propulsant arbre
Arbre aspirant rocher.
 
Mais la "grande affaire" qui hante l'esprit des visiteurs, c'est le spectacle permanent qu'offrent les brumes et les nuages. Au Huang Shan, ils sont à ce point en osmose avec les montagnes qu'ils créent l'hallucinante illusion que les montagnes ne sont qu'un de leurs états, momentanément stable, ou qu'inversement, ils ne sont eux-même que les montagnes transformées en état fluide ! Les adeptes du taoïsme conseillent de se nourrir "de brumes et nuages". Au Huang Shan, tout au long de la journée, ils vous tiennent en haleine, dans l'état d'attente de leur arrivée ou dans le regret de leur brusque disparition. Quand ils arrivent, on se laisse volontiers envelopper par leur corps soyeux, ouaté, au parfum de santal mouillé. Quand ils s'en vont, on demeure pantois, ébloui par les visions fulgurantes qu'ils laissent derrière eux. Il s'agit là, plus qu'une simple distraction, d'un véritable jeux d'amour.
(source : Pélerin n° 6501 du 5 juillet 2007)

Publié dans culture

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