Monoï, la botte secréte de la vahiné.

Publié le par Michel Le Fouineur

Née sur un confetti du Pacifique, popularisée par les GI en 1942, puis par les hôtesses d'Air France, l'arme fatale des vahinés s'exporte. De l'Europe aux Etats-Unis en passant par l'Asie : itinéraire d'un élixir de choc.
Monoï. Deux syllabes rondes et chaudes qui évoquent instantanément la cambrure lascive et la chevelure ondoyante d'une naïade des tropiques. Quelle femme n'a pas rêvé de partager le secret de beauté de ces vahinés, au hit-parade de la fantasmagorie masculine ?
En Polynésie, la légende veut que les dieux s'enduisent le corps de monoï, tandis que la fleur de tiaré - son ingrédient principal - serait née sous le signe de Tane, dieu de la beauté et de la lumière. Si on ajoute que l'art du monoï est millénaire, on comprend que l'huile tahitienne n'a pas à rougir de ses origines. Mais c'est surtout un concentré de vertus, comme le martèle l'institut du monoï, émanation de la profession. Au chapitre de ses mérites, des propriétés assainissantes, émollientes et hydratantes. Surtout, incontournables de la pharmacopée polynésienne, les fleurs de tiaré qui l'enrichissent sont utilisées pour prévenir les piqûres d'insectes, traiter les maux d'oreille, certaines formes d'eczéma, les migraines et même les orgelets. Un modèle de polyvalence.
Exotique et vertueuse, l'huile de monoï est un rêve de marketeur. Un produit qui n'a pas manqué d'être copié, au grand dam des producteurs polynésiens. Résultat : des années de batailles rangées contre les grands de la cosmétique, afin d'obtenir le sésame de l'appellation d'origine contrôlée. Une grande première dans l'histoire de la cosmétologie française. A Tahiti, on garde un souvenir ému d'Edith Cresson, qui signa finalement le décret sur cette appellation, le 2 avril 1992, la veille de sa démission. A première vue, pourtant, la recette est simple : une huile de noix de coco (l'huile de coprah), dans laquelle ont macéré des fleurs de tiaré. Le décret de 1992 a placé haut la barre des exigences : les noix doivent provenir du cocotier "Cocos nucifera", qui pousse en Polynésie française sur des sols d'origine corallienne. Même régime pour les fleurs de tiaré (Gardeni Tahitensis), qui n'ont jamais pu être cultivées en dehors de l'archipel.
- Le monoï de Tahiti, c'est comme un grand cru, il n'y a pas de Haut-Brion en Californie, résume Miliana Pouira, gérante de la société Fetia Tahiti.
Il faut respecter encore les usages locaux à chaque étape du processus. Les noix de coco doivent impérativement récoltées à maturité, à l'inverse des fleurs de tiaré qui, elle, doivent être cueillies au stade de bouton et, si possible, à l'aube. Les amandes sont détachées des noix sous 48 heures, l'huile brute est extraite par une seule pression à chaud - sans excéder les 125°C... Un cahier des charges pointilleux aux allures de bottin téléphonique. Et c'est seulement au terme de ce parcours que l'huile pourra obtenir l'appellation "Monoï de Tahiti", estampillée du précieux logo de la fleur de tiaré.
L'huile de monoï commence à s'exporter durant la Seconde Guerre Mondiale. L'île de Bora-Bora est alors une importante base de ravitaillement de l'armée américaine. Le monoï débarque en France sous le manteau. Pas n'importe lequel, celui des hôtesses d'Air France. Nous sommes dans les années 1960, c'est le temps des premiers essais nucléaires dans les atolls de Mururoa et Fangataufa. Les vols se multiplient et le charme des hôtesses renforce l'exotisme et le glamour du produit.
Liens historiques obligent, la France demeure le premier débouché économique (plus de 70 % du marché), mais aussi la plaque tournante de l'Europe. Loin derrière, les Etats-Unis. A Tahiti, on soupire après le potentiel du marché américain, mais le monoï y reste encore peu connu, en dépit de la croisade écologique de Marlon Brando, héros du film "Les révoltés du Bounty", qui fut marié à une Tahitienne et l'heureux propriétaire d'une île en Polynésie française. Parmi les nombreux clients, on trouve les Japonais - de plus en plus ombreux à s'envoler vers Tahiti pour se marier à la mode polynésienne -, mais aussi le Vietnam et la Nouvelle Zélande. Au total, un vingtaine de pays et un marché évalué à trois millions d'euros, que se partagent cinq producteurs locaux.
A l'origine, le positionnement est simple : le monoï, c'est une huile parfumée, qui hydrate et satine la peau sous le soleil. Sauf que... avec la recrudescence des mélanomes et des cancers de la peau, le soleil n'est plus en odeur de sainteté : au début des années 1990, les ventes dégringolent. Qu'à cela ne tienne, l'huile de monoï va s'enrichir de filtres UV et acquérir le statut plus porteur et respectable de protection solaire. L'occasion de recruter dans les rangs de la gens masculine, peu tentée jusqu'alors par ce produit à l'image peu virile.
La formule fonctionne et inaugure l'ère de la diversification.
- Initialement, le monoï a été importé par des particuliers, qui n'ont pas su communiquer sur ses vertus hydratantes et assainissantes. L'image est trop réductrice, déplore Yves Touboul, directeur commercial de la société Pacifique sud cosmétiques. Aujourd'hui, on se rattrape : le monoï se décline en crème pour le corps, enrichie au beurre de karité et autres vitamines, en baume hydratant et masques en tout genre.
L'avantage : s'affranchir du diktat de la saison estivale. Désormais, les consommatrices vont pouvoir s'enduire de monoï toute l'année.
Autre facteur dynamisant : la vague du naturel, sur laquelle le monoï surfe avec une maestria toute tahitienne, en s'imposant dans les établissements de thalassothérapie. Les adeptes du bien-être sont accros. Même après 2000 ans, cette huile est toujours bénie des dieux.
(source : Directsoir n° 186 vendredi 6 juillet 2007)

Publié dans patrimoine

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